Archives du mot-clé Victor Hugo

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 13 août 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Adèle semble comparer défavorablement sa famille à Victor, dont elle pressent probablement le génie. Une fois encore, elle se plaint des reproches de sa mère, toujours jalouse de l’amour de sa fille pour le jeune homme. Exagère-t-elle ? N’y aurait-il pas surtout chez Mme Foucher la tristesse de voir son enfant devenir une femme et lui échapper ?

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre reçue le 13 août 1822

« J’ai passé une bien mauvaise nuit, mon Victor ; j’ai rêvé de bien tristes choses. Mais ce n’était qu’un rêve, car, sans cela je ne vivrais pas. Cher ami, n’est-ce pas que tu n’aimeras jamais que moi ?

Je viens d’être grondée ; maman ne m’aime plus ; je n’ai que toi, mon Victor ; maman m’a dit que je n’aime plus personne que toi, que je déteste Paul. Elle m’en veut beaucoup. J’avoue que, ne sachant pas dissimuler, tout le monde peut s’apercevoir que je juge ma famille d’après une personne que j’estime, que j’aime par-dessus tout. Toutes les actions de mon entourage me paraissent, en comparaison des tiennes, tellement en-dessous, qu’elles ne peuvent pas soutenir la comparaison. Qu’ai-je dit, mon ami ? Crois que, cependant, après toi, je ne vois rien de comparable à mes parents, que je les estime ; je sais tout ce que ma bonne mère a fait pour moi ; qu’elle a sacrifié ses veilles, tout au monde pour sa fille, qu’elle aurait donné mille vies pour me sauver un douleur ; et moi, fille ingrate, j’aime mon Victor tant de fois plus qu’elle que je ne saurais le dire.

Maman me disait, l’autre fois, qu’elle avait l’âme triste, que les soins qu’elle avait donnés à sa fille n’avaient point été sentis, et elle me dit :

– Qui te dit que M. Victor ferait pour toi ce que j’ai fait ?

– Parce que, lui répondis-je, j’en ferais davantage pour lui.

Cette réponse m’a échappé, elle était dure pour maman et je m’en suis repentie ; mais j’ai dit ce que je pensais.

Quelquefois, je songe qu’un instant peut tout changer et que cette personne pour laquelle j’ai tout oublié ne sera peut-être pas toujours de même. Je pensais cela de toi, mon Victor, et j’étais bien coupable, n’est-ce pas ?

Mais j’ai promis de ne te rien cacher. Car, si tu changeais, sur qui pourrait-on compter ? De tout ce qui doit quitter cette terre, tu es le seul être sur lequel je fonde tout ce qui fait vivre, tout mon bonheur. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 13 juillet 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor, comme Adèle, regrette à nouveau les moments heureux passés à Gentilly dans la maison de campagne des Foucher, où ils pouvaient se voir et se parler en permanence. Mais surtout, Victor remarque la jalousie de sa future belle-mère à son égard. Ce n’est pas la première fois que les lettres des fiancés font allusion à cette situation. Mme Foucher ne voit pas d’un très bon œil la passion de sa fille pour Victor et semble avoir l’impression de ne plus être aimée. Mais Victor encourage la fiancée à développer cet amour exclusif et veut être tout pour elle.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« 2 heures après-midi.

Je saisis tous les moments où je peux t’écrire, afin que cette journée s’abrège. Elle est si longue. Oh oui ! regrettons, mon Adèle, notre Gentilly. Qu’est-ce que ces trois heures passées le soir dans une gêne perpétuelle près de la douceur de dormir sous le même toit, de respirer le même air, de m’asseoir à la même table que toi. Hier, chère amie, j’ai essayé de prendre ta défense contre des reproches bien singuliers : je n’ai pas été bien reçu ; mais pour toi, est-ce que je ne supporte pas tout ? Est-ce donc à ta mère de m’envier une tendresse que tu ne pourrais me refuser sans la plus profonde ingratitude, car il n’y a que l’amour qui puisse payer l’amour ! Comment ! ta mère voudrait que tu ne répondisses que par une affection secondaire à l’attachement le plus ardent, au dévoûment le plus absolu, à l’amour et au respect le plus profond ! O répète-moi sans relâche, mon Adèle bien-aimée, ce que tu me disais dans ta douce lettre d’hier que ton Victor est tout pour toi comme tu es tout pour lui, que toutes les affections s’évanouissent devant notre amour mutuel, redis-le moi sans cesse, car c’est du plus profond de mon cœur que je t’affirme que j’ai besoin de cette conviction pour vivre. Si demain je cessais de croire en toi, Adèle, mon existence se briserait d’elle-même, car où serait mon appui dans la vie pour supporter le poids d’un pareil malheur ? Oh non, non, je t’aime, je t’aime, et tu ne peux ne pas m’aimer, toi qui es un ange. Adieu, adieu, mon Adèle, ton mari t’embrasse et t’embrasse encore. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 12 juillet 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor, grâce à la parution de ses Odes et poésies diverses parues le 4 juin et teintées de royalisme bon teint, s’est vu confirmer qu’il recevrait une pension de la Maison du roi. Plus rien ne s’oppose donc à son mariage avec Adèle. La date du mariage est fixée avant même la demande officielle du père de Victor, Léopold, aux parents de la jeune fille. En ce 12 juillet, nous sommes donc à trois mois, jour pour jour, du mariage. Adèle se réjouit, dans cette lettre, que son amoureux et elle n’aient « rien fait qui soit indigne ». Rappelons que Victor a décidé de rester vierge jusqu’au mariage comme sa fiancée. Cette « pureté », Adèle l’envisage aussi sur le plan moral : « nous nous contenterons de ce que nous aurons, mais nous serons purs ». L’égalité entre la jeune fille et le jeune homme reste pourtant toute relative. Adèle constate que la seule gloire permise à une femme est celle de son fiancé ou de son mari. Et quand certaines femmes transgressent cette nécessité, la vie semble peu amène pour elles : quelques années avant, Mme de Staël affirmait que « pour une femme, la gloire est le deuil éclatant du bonheur ».

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

« 12 juillet 1822.

Trois mois encore et je serai toujours près de toi. Quand nous pensons à cela, nous devrions nous trouver bien heureux ! Et, quand nous pensons que nous n’aurons rien fait qui soit indigne, et que même nous aurions pu être ensemble plus tôt, mais que nous avons préféré notre propre estime à notre bonheur, combien ne serons-nous pas plus heureux ! Mon Victor, que jamais nous ne nous fassions rien qui puisse empêcher de considérer notre conduite avec joie, et, quand même nous serions pauvres, nous nous contenterons de ce que nous aurons, mais nous serons purs. Je parle pour deux, quoique je ne puisse rien aux affaires ; mais je serai toujours de moitié dans ce que tu feras. C’est bien ce qui fait toutes les jouissances que j’ai en ce monde qui sont de songer que toutes tes actions sont les miennes ; elles font tout mon bonheur et toute ma gloire. C’est la seule qui soit permise à une femme.

Je pense toujours combien est douce pour moi la confiance que j’ai en toi ; ma vie s’écoulera avec une personne qui me connaîtra tout entière, qui recevra toutes mes pensées, qui écoutera tout ce qui me sera inspiré avec indulgence et qui répondra à cette confiance sans bornes de la même manière, car, s’il n’était pas ainsi, alors, tout serait brisé. Mais aussi je vois l’avenir comme mon Victor me l’a annoncé ; il m’a dit que mon âme serait toujours inséparable de la sienne, que je saurais tout ce qui s’y passera. Ce sera l’union qui existera toujours entre nous deux. Tu me l’as promis, mon Victor, te le rappelles-tu ? Jamais il n’en sera autrement car sans cela comment pourrais-je vivre ? Moi qui mets toute ma vie dans la tienne ! Oh ! jamais, Victor, tu ne trouveras quelqu’un qui ait un amour plus pur et plus désintéressé. Je me demande toujours pourquoi, étant si peu de chose, tu as bien voulu m’aimer ; c’est bien aussi ce qui me donne de l’orgueil et qui me met au-dessus des autres créatures.

Oui, mon Victor, que jamais le désir que nous avons d’être mariés ne nous fasse rien faire de bas, car cette idée me fait horreur ; il ne faut jamais oublier sa dignité. Dieu nous a placés sur la terre pour parcourir l’espace qu’il y a entre nous et l’éternité, de manière que nous puissions, dans cette vie terrestre, nous honorer du titre de créatures de Dieu. Il nous a donné la même manière de sentir pour nous faire supporter les maux que nous ne pouvons éviter avec un courage réciproque. Nous sommes, mon Victor, aussi heureusement placés que possible et notre union parfaite est le plus grand bonheur que des hommes puissent atteindre. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 8 juin 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor est consolé de son désespoir de l’avant-veille – le refus de sa fiancée de venir seule chez lui -, par la lettre tendre et aimante envoyée par Adèle. On apprend d’un aveu qu’il fait à la fiancée que sa mère lui a appris à ne pas extérioriser ses sentiments : il pleure rarement. Comme le fait justement remarquer Jean Massin, l’éditeur des œuvres complètes de Hugo au Club Français du livre, cette éducation a influé sur les textes de Hugo qui est « un des génies les plus pudiques et les moins spontanément effusifs ». Dans Les Contemplations, par exemple, recueil-tombeau de sa fille morte, l’émotion n’est jamais larmoyante et le prénom de la disparue n’est jamais prononcé.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

Lettre intégrale de Victor à Adèle du samedi [8 juin]

« Ne te plains pas, mon Adèle, de la soirée d’avant-hier. Quoique je sente alors plus vivement que jamais les chagrins qui me viennent de toi, ce sont toujours de bienheureux moments pour ton Victor que ceux qu’il passe près de moi. Juges-en par l’empire absolu que la moindre de tes paroles exerce sur ton mari. Oh ! console-moi toujours ainsi, bien-aimée Adèle, des larmes que tu me feras verser. Je ne donnerais pas maintenant pour le bonheur des anges la douleur à la vérité bien amère que tu m’as causée, puisqu’elle m’a valu une lettre si douce et des consolations si tendres. Chère amie, oui, cette douleur a été bien vive. Les larmes me font bien mal. Ceux qui pleurent aisément sont soulagés quand ils pleurent. Moi, je n’ai pas ce bonheur. Celles de mes larmes qui peuvent sortir sont celles qui me soulagent ; mais presque toutes me restent sur le cœur et m’étouffent. Une mère qui a prévu le cas où l’on est seul dans la vie, m’a accoutumé dès l’enfance à tout dévorer et à tout garder pour moi.

Pourtant, Adèle, il m’est bien doux de m’épancher en toi. Endurées pour toi, les fatigues et les souffrances ne me sont rien ; mais si je te vois quelquefois les deviner et les plaindre, alors, mon Adèle adorée, elles me sont chères et précieuses. Hélas ! n’as-tu pas pleuré aussi, toi, avant-hier ? Qu’est-ce donc que mes larmes ? O mon amie, combien les tiennes m’ont encore fait plus de mal ! Elles sont retombées douloureusement sur mon cœur, comme des remords. Pardonne-moi, va, je me hais bien. Adèle, que notre, que mon bonheur, serait grand si ce que disait aujourd’hui ta mère se réalisait ! Quel bonheur ! Ayons une confiance mutuelle en nous-mêmes et dans l’avenir. Adèle, n’est-il pas vrai que je serai bien heureux ? Comment ma femme peut-elle maintenant craindre de revenir dans ma tour ? Adèle, il faut que tu redoutes un bien grand danger pour me priver, moi, ton Victor, du plus grand bonheur dont il puisse jouir à présent. Consulte avant tout ton intérêt. Mon Adèle adorée, je ne t’adresserai plus une prière d’égoïste, mais j’aurai un bien vif chagrin. Adieu, je vais te voir dans quelques minutes, mais il m’est bien triste de penser que je ne serai pas près de ma femme dans le voyage à Gentilly. Hélas ! Mon Adèle bien-aimée, adieu ! Je veux que tu me dises que tu m’embrasses, je le veux, c’est-à-dire que je t’en prie. Adieu donc, embrasse ton mari, ton Victor. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 7 juin 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

L’amour donne des ailes. Adèle a eu l’audace, le 3 juin, d’aller voir Victor chez lui, seule ! Voilà de quoi la déshonorer aux yeux de la société puritaine du XIXe siècle. Le jeune poète commence à être connu et apprécié. Un éditeur, Pélicier, vient de publier ses Odes et Poésies diverses qui enchantent Lamennais. Victor dédicace ainsi le premier exemplaire : « à mon Adèle bien-aimée, à l’ange qui est ma seule gloire comme mon seul bonheur ». Pourtant, l’audace de l’ange a des limites. Le 6 juin, malgré l’insistance de Victor, Adèle a refusé de lui faire une nouvelle visite secrète. Il en a pleuré de déception. Elle regrette de l’avoir à ce point affligé.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre dans son intégralité reçue le 7 juin 1822

« Quelle soirée nous avons passée, mon ami ! Je t’ai fait de la peine ; pardonne-moi, je t’en supplie. J’étais aussi bien malheureuse et le suis encore. J’ai de la tristesse et de l’ennui d’être si longtemps sans nous voir. Je suis souffrante, ce qui se joint un peu à mes tristes pensées. Que je voudrais te voir heureux, et bien heureux ! Quel bonheur pour moi de te voir ! Mais mon ami, ce serait nous exposer à nous perdre. Tu le sentiras toi-même ; je n’ai pas la force de dire que je n’irai pas ; tout cela me coûte à penser. Mais c’est toi, mon Victor, qui dois me soutenir dans cette détermination.

Cher ami, je t’ai vu pleurer, jeudi ; combien tu m’as fait de mal ! et à cause de moi, et dans un endroit où je ne pouvais pas baiser tes larmes. Mais tu as pardonné à ton Adèle, qui ne savait pas te faire de la peine, car, si je l’avais su, il est impossible de croire que j’aurais eu seulement l’idée de te faire l’ombre d’une petit chagrin, moi qui passe mon temps à chercher tout ce qui peut te rendre heureux ! »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 29 mai 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

NUIT ET JOUR COUCHÉ DEVANT TA PORTE

Victor, comme Adèle, souffre de ne plus voir sa bien-aimée aussi souvent qu’à Gentilly. Malade, il suit les prescriptions de celle-ci, qui lui a donné des conseils pour se soigner, mais il est persuadé que la lettre de la jeune fille sera le plus efficace des remèdes. Il s’imagine, comme un chien, couché devant sa porte, si jamais la jeune fille était malade et si on ne lui permettait pas d’être à son chevet. Il y a un peu chez le jeune Hugo quelque chose de ce fou d’amour appelé « Gastibelza » dans le poème des Rayons et les Ombres intitulé « Guitare » et qui sera mis en musique par Liszt et par Brassens :

… je sais bien
Que pour avoir un regard de son âme,
Moi, pauvre chien,
J’aurais gaîment passé dix ans au bagne
Sous le verrou … –
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« Mercredi soir [29 mai 1822]

Je viens de lire ta lettre, ta douce et charmante lettre. J’ai fait tous les remèdes que tu m’as demandés, mais ce n’est pas sur eux que je compte pour me guérir, mon Adèle adorée, c’est sur ta lettre. Que ne peux-tu savoir, dès à présent, chère amie, combien ce peu de mots de toi m’a fait de bien ! Tu en serais contente, car tu m’aimes et il doit t’être doux de voir avec quelle passion je t’aime de mon côté. Ne me dis plus pourtant que jamais je ne comprendrai à quel point tu m’aimes. Quelle affection ne dois-je pas comprendre, Adèle, moi qui t’aime d’un amour éternel et infini ? Aime-moi autant que je t’aime, ange, et nous aurons le bonheur le plus parfait que puisse contenir la vie.

Comment peux-tu craindre que je t’abandonne jamais si j’avais le malheur de voir tout ce que j’aime au monde malade ? Grand Dieu ! Adèle, il faudrait m’arracher de force de ton lit de douleur, et si l’on me repoussait aussi impitoyablement, on me verrait nuit et jour couché devant ta porte. Oh ! non, tu ne recevrais rien, n’est-ce pas, que des mains de ton Victor ? Tu supplierais avec lui tes parents de ne pas lui ôter la seule consolation qui puisse l’aider à supporter d’aussi cruelles inquiétudes, celle d’être continuellement et constamment auprès de ton lit, d’y veiller, d’y vivre. Et comment pourrais-je supporter qu’une main étrangère environne de soins, à défaut de moi, celle qui est pour moi, certes, bien plus que moi-même ? Et cela, dans le moment même où elle et moi aurions le plus besoin l’un de l’autre ! Non, mon Adèle bien-aimée, cela ne sera jamais. Ton mari sera jusqu’à et après sa mort, ton compagnon de joie et de douleur. Adèle, c’est cette idée qui remplit toute son âme et il s’y livre avec confiance. Adieu pour ce soir, les embarras des remèdes que tu m’as prescrits m’ont occupé une heure et demie et il était dix heures quand j’ai commencé à écrire. Adieu, mon Adèle adorée, j’achèverai demain. Je vais baiser ta lettre et tes cheveux, cela m’aidera peut-être à dormir comme j’espère que tu dors en ce moment. Adieu. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 29 mai 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

MOI QUI SERAIS SI HEUREUSE DE NE JAMAIS TE QUITTER !

   Depuis le mois d’avril, Victor fait de fréquents séjours à Gentilly, où les Foucher ont une maison de campagne. Les amoureux ont le bonheur de s’y voir fréquemment malgré une surveillance étroite de Mme Foucher qui ne veut pas que les amoureux restent ensemble. Adèle trouve parfois le moyen d’échapper au regard maternel et de rejoindre son amoureux dans une tour où il travaille. Les séjours à Gentilly inspireront au jeune poète une ode, « A G….Y », où il évoque le mélange de tristesse et de joie éprouvées durant ces moments où les amoureux, comme à leur accoutumée, se disputent et se tourmentent mutuellement pour des riens puis se disent leur amour brûlant.

   Le 28 mai, Victor revient à Paris pour s’occuper de la publication imminente de son recueil Odes et poésies diverses. Les Foucher sont également revenus pour quelque temps dans la capitale : Adèle regrette les moments passés à la campagne où elle pouvait voir Victor tous les jours et elle s’inquiète parce qu’il est souffrant.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre reçue le 29 mai 1822

« Je suis bien ennuyée d’être à Paris ; je t’y vois si peu, tandis qu’à la campagne je te vois presque toujours, je couche dans la même maison. Quand je te dis adieu, je sais que tu t’éloignes peu de moi ; encore faudra-t-il rester dans ce triste Paris la semaine prochaine. J’éprouve un sentiment si douloureux lorsque tu me quittes ! Qui sait ce qui peut m’arriver pendant ton absence ? Moi qui serais si heureuse de ne jamais te quitter ! Oh ! mon ami, promets-moi que si jamais je suis malade même avant d’être mariée aux yeux du monde, tu ne me quitteras pas du tout, que nul autre que toi ne m’approchera. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 13 avril 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

«CE NE SERA QUE PAR TON TRAVAIL QUE J’ACHÈTERAI LE BONHEUR »Nous avons là un exemple de ce qu’est le sort d’une jeune bourgeoise au XIXe siècle :  partager les tâches ménagères avec sa mère et plus tard assister son mari dans son travail, cette dernière occupation étant souhaitée par Adèle comme l’obtention du bonheur. Une fois mariée, Adèle connaîtra trop de grossesses successives pour pouvoir se livrer à cette tâche : elle ne servira pas de copiste à son mari comme plus tard la maîtresse de celui-ci, Juliette Drouet. Le désir de s’affirmer et de faire œuvre personnelle, Adèle l’éprouvera et le comblera des années après dans la biographie qu’elle publiera sous le titre Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie mais sans signer le livre, remanié par ses fils et Auguste Vacquerie, ami de la famille. Justice sera rendue à l’auteure,  plus d’un siècle après, en 1985, pour le centenaire de la mort de Hugo : le  texte de celle-ci lui sera enfin attribué, et publié sous le titre Victor Hugo raconté par Adèle Hugo.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Adèle à V.H., le 13 avril 1822

« Il t’a semblé que j’étais triste, à Gentilly ; j’étais seulement heureuse ; j’étais aussi chagrine quand je pensais que tu allais t’en aller seul dans ta tour. Je crois que le seul moyen de supporter cette séparation est de travailler, de penser que ce même travail amènera le bonheur. Je voudrais pouvoir partager tes travaux, mais je n’ai pas même cette jouissance ; que je reste dans l’inaction ou que je m’occupe, cela n’avance à rien. Plains-moi, mon ami, de te sentir passer ta vie dans le travail, et de n’être, moi, qu’une espèce de paresseuse. Il est vrai, j’aide maman dans le ménage, je la soulage, et je me plains ! Ne devrais-je pas me trouver heureuse d’être de moitié dans ses actions ? Non, ce sont les tiennes que je veux partager, celles de mon mari, de mon ami. Ce ne sera que par ton travail que j’achèterai mon bonheur. Dis-moi, puis-je te servir à quelque chose ? »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 6 avril 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

« LA VIE PERD TOUJOURS EN FÉLICITÉ CE QU’ELLE GAGNE EN ÉCLAT »

Dans une lettre du 30 mars 1822, Adèle a rappelé à Victor que sa mère « était ardente dans ses affections comme intolérante dans ses haines ». Adèle, à l’évidence, a été un des objets de ces haines. Après avoir eu connaissance de la romance ébauchée par son fils avec cette jeune fille qu’elle jugeait médiocre, elle avait interdit à Victor de la voir et ce n’est qu’après la mort de Sophie Hugo, le 27 juin 1821, que les amoureux ont pu espérer se marier un jour. Adèle semble même penser que Sophie avait cherché à la déshonorer pour éloigner son fils de l’intruse. Victor défend sa mère. Certes, elle a fait obstacle à leur amour mais elle n’a jamais été jusqu’à dire des infâmies sur la jeune fille. Il reconnaît cependant qu’elle a cherché à l’éloigner d’elle en lui faisant miroiter un bel avenir et la gloire. Mais la gloire apporte-t-elle la félicité ? Victor se souvient peut-être de cette période de sa jeunesse quand il écrit ce qui deviendra le poème XXIV du recueil Les Rayons et les Ombres (joliment mis en musique et chanté par Gérard Berliner) :

Quand tu me parles de gloire,
Je souris amèrement.
Cette voix que tu veux croire,
Moi, je sais bien qu’elle ment.

[…]

La prospérité s’envole,
Le pouvoir tombe et s’enfuit.
Un peu d’amour qui console
Vaut mieux et fait moins de bruit.

Ces confidences de Victor du 6 avril sont très précieuses car elles nous en disent long sur les rapports de la mère et du fils à l’époque où, l’amour des jeunes gens découvert, Sophie tentait de développer chez Victor l’ambition et l’orgueil qu’elle lui aurait apparemment appris à dédaigner auparavant.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« Samedi matin [6 avril 1822]

J’ai été très affligé et très indigné dimanche, chère amie, en entendant de quelles infamies on avait souillé dans ton esprit la mémoire de ma mère. Je t’ai suppliée de n’en rien croire, je t’en ai conjurée parce qu’il m’importe que celle qui partagera ma vie ne pense pas mal de celle à qui je dois cette vie. Songe. Adèle, si tu as quelque estime pour ton Victor, que la femme qu’on accuse d’une si vile calomnie envers une jeune fille, est celle qui m’a nourri, qui m’a élevé, si cette considération n’est rien pour toi, songe de quelles nobles vertus cette mère nous a donné l’exemple au milieu des plus grandes douleurs. Ma mère se plaignait peu, et pourtant elle a beaucoup souffert. Aussi en aspirant à ses enfants l’horreur du vice qui faisait le malheur de toute son existence, elle répétait souvent que son malheur même ferait le bonheur de celles que ses fils épouseraient. Hélas elle n’a pu être témoin de l’accomplissement de sa prédiction. Je suis fâché, mon amie, que tu ne m’aies pas parlé plutôt de l’imposture imaginée sans doute pour me perdre dans ton estime, la tête de ma mère aurait été plus tôt déchargée de cet odieux mensonge. Car, chère amie, je ne doute pas que maintenant tu n’aies réfléchi au peu de fondement d’une telle accusation. Je ne m’y appesantirai donc pas. Je te dirai seulement que jamais je n’ai entendu ma mère parler de ta famille ou de toi avec colère à un étranger ; au contraire, elle ne se servait que de paroles d’estime et d’amitié quand le hasard mêlait votre nom à une conversation, ce qui à la vérité arrivait très rarement. Je te dirai encore avec la même franchise que lorsque ma mère était seule avec moi, t qu’elle me voyait toujours triste, morne et abattu, elle exhalait quelquefois sa douleur en plaintes contre moi et contre toi ; mais dès qu’elle s’apercevait que ma tristesse ne faisait qu’en redoubler, elle se taisait. Je conviens encore qu’elle a fait tout ce qu’elle a pu loyalement pour te bannir de mon souvenir ; elle a cherché à me livrer aux dissipations du monde ; elle aurait voulu que je m’enivrasse des jouissances de l’amour-propre ; pauvre mère ! elle-même avait mis dans mon cœur le dédain du monde et le mépris du faux orgueil. Elle voyait bien que tout échouait sur moi, parce que j’avais placé ma vie ailleurs que dans les joies qui passent et les plaisirs qui s’évanouissent. Je ne parlais jamais de toi, mais elle lisait dans mes yeux que j’y pensais sans cesse. Pourquoi cette noble mère a-t-elle été ambiteuse pour moi ? Pourquoi a-t-elle rêvé pour son fils une prospérité qui n’est pas le bonheur ? Cette sagesse lui a manqué entre toutes les sagesses qui réglaient sa conduite, elle a oublié que l’âme ne se nourrit pas de richesses et d’honneurs et que la vie perd toujours en félicité ce qu’elle gagne en éclat. Ce sera une grande leçon pour moi un jour que cette erreur de ma mère. Je ne préférerai point les projets calculés et les froides espérances que mon âge mûr aura conçus pour mes enfants à leurs affections, aux penchants qui s’empareront de leurs cœurs, pourvu toutefois que je sois sûr de la pureté de ces penchants et de la noblesse de ces affections. Je tâcherai de les diriger d’après mon expérience pour leur plus grand bonheur, mais jamais je n’essaierai de détruire ce qui est indestructible, un amour vertueux dans un être pur. Adèle, ma bien-aimée Adèle, tu partageras ces soins, tu m’aideras de tes conseils, et si jamais (ce qui est impossible) j’oubliais ce que je dis ici et que je voulusse sévir contre une passion innocente, tu me rappellerais, toi, ma douce Adèle, ce que le mari de vingt ans promettait pour le père de quarante. Ce sera, n’est-il pas vrai ? une chose ravissante que d’étudier chez nos enfants les progrès de ce que nous aurons éprouvé nous-mêmes, de les voir recommencer doucement toute l’histoire de notre jeunesse. Alors, chère amie, nous pourrons dire, comme ma noble mère, que nos souffrances feront leur bonheur. Adieu, mon Adèle, je vais te voir dans quelques instants. Ce soir j’habiterai sous le même toit que toi. Embrasse-moi pour tant de bonheur, adieu, ma femme, adieu, mon Adèle adorée, je t’embrasse mille et mille fois.

Ton fidèle VICTOR. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 13 mars 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

« JE TE SUIVRAIS PARTOUT »

La jeune Adèle, souvent méprisée bien injustement par les commentateurs et critiques se montre pourtant déterminée et audacieuse dans cette lettre du 13 mars : elle est prête à quitter père et mère pour suivre Victor. Ce n’est pas anodin et cette promesse qu’elle fait à son amoureux dénote une grande force de caractère et même un brin de folie ou d’inconscience : on ne plaisante pas avec l’honneur des jeunes filles au XIXe siècle et elle risque, si elle se fait enlever par son bien-aimé, l’opprobre et la marginalisation. L’auteur d’Hernani se souviendra de cet élan fougueux et passionné. Doña Sol a bien les mêmes réponses qu’Adèle quand celui qu’elle aime lui dit que sa vie est rude, faite d’errances et de danger et qu’il vaudrait mieux pour elle épouser le vieux Don Ruy Gomez. Aux descriptions terrifiantes qu’il lui fait de son existence, la jeune aristocrate espagnole affirme à plusieurs reprises : « Je vous suivrai » puis ajoute « Allez où vous voudrez, j’irai. Restez, partez, / Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je l’ignore. / J’ai besoin de vous voir et de vous voir encore ».

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre (dans son intégralité) reçue le mercredi 13 mars 1822

« Tu as sans doute cru, mon ami, que je parlais sans réflexion, lorsque je te disais que je te suivrais partout. Mais c’est la résolution la plus méditée et la plus réfléchie. Et crois-tu qu’après avoir été ton amie dans une situation heureuse, je t’abandonnerais lorsque tu aurais besoin, plus que dans toute autre occasion, d’être soutenu ? Et, lorsque tu me dis que c’est peu généreux à toi de m’enlever à ma patrie, à mes parents, crois-tu donc encore qu’il serait plus généreux à toi de m’abandonner et de me laisser seule, puisque toi n’y étant pas, je suis aussi isolée que si j’étais dans un désert ? Je ne demande qu’à pouvoir te consoler, remonter ton courage quand il s’affaiblira, enfin partager ton sort, quel qu’il soit. Je n’ai d’autre bonheur que toi et comment veux-tu me laisser ainsi ? Mais, cher ami, que ce ne soit qu’aux dernières extrêmités que nous nous trouvions forcés de quitter ce que j’ai, après toi, de plus cher au monde. Des parents si bons, si généreux pour moi, demandaient une autre fille ; car, mon ami, est-il rien de meilleur qu’eux ? Et quand je pense qu’il est possible que je laisse de semblables parents dans la douleur, je voudrais qu’ils n’eussent jamais rien fait pour moi. Mais je pense aussi qu’ils auront des sujets de consolation, qu’ils ont d’autres enfants, et que toi, mon ami, tu es seul au monde. Non, jamais je ne te quitterai ! Comment, je pourrais te rendre moins malheureux et je ne le ferais pas !

Victor, tu n’aurais pas ainsi abandonner ta mère, et moi qui suis fille, moi qui ai été et suis encore chérie d’une si tendre mère, je me propose de la laisser ! Mais, dans cette circonstance, si je ne faisais pas ce que tu n’aurais pas fait, je mourrais.

Ainsi, cher ami, ne vois pas dans cette action, que tu dis généreuse, que de l’égoïsme de ma part. J’ai peur de ne pouvoir supporter un pareil événement, et c’est pour moi que j’agis, c’est parce que l’inquiétude m’enverrait dans la tombe et que je ne veux pas y aller. Je suivrai en tout ton destin. Après cela, c’est à toi à ménager la bonté de mes parents, à tâcher de ne me les faire jamais quitter. Mais ne crois pas pouvoir me laisser sans me retrouver folle ou morte. Tout espoir n’est par perdu. Pourquoi avons-nous de semblables pressentiments ? Qu’y a-t-il de plus inquiétant maintenant qu’il y a quinze jours ? Ton père peut faire quelques difficultés, au premier moment, c’est même naturel ; il t’élèvera de grands empêchements, on doit s’y attendre. Tu feras ton possible, et si, après n’avoir rien à nous reprocher, il persiste à vouloir nous séparer, c’est alors qu’il aura mal calculé, car je suis ta femme ; et Dieu, qui lit dans mon âme, sait quelles sont mes intentions, et me pardonnera une action qui a un but si légitime, et, sûrement, ce grand Dieu n’a pas fait deux êtres qui ne peuvent vivre l’un sans l’autre pour les séparer. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822