Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 29 mai 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

NUIT ET JOUR COUCHÉ DEVANT TA PORTE

Victor, comme Adèle, souffre de ne plus voir sa bien-aimée aussi souvent qu’à Gentilly. Malade, il suit les prescriptions de celle-ci, qui lui a donné des conseils pour se soigner, mais il est persuadé que la lettre de la jeune fille sera le plus efficace des remèdes. Il s’imagine, comme un chien, couché devant sa porte, si jamais la jeune fille était malade et si on ne lui permettait pas d’être à son chevet. Il y a un peu chez le jeune Hugo quelque chose de ce fou d’amour appelé « Gastibelza » dans le poème des Rayons et les Ombres intitulé « Guitare » et qui sera mis en musique par Liszt et par Brassens :

… je sais bien
Que pour avoir un regard de son âme,
Moi, pauvre chien,
J’aurais gaîment passé dix ans au bagne
Sous le verrou … –
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« Mercredi soir [29 mai 1822]

Je viens de lire ta lettre, ta douce et charmante lettre. J’ai fait tous les remèdes que tu m’as demandés, mais ce n’est pas sur eux que je compte pour me guérir, mon Adèle adorée, c’est sur ta lettre. Que ne peux-tu savoir, dès à présent, chère amie, combien ce peu de mots de toi m’a fait de bien ! Tu en serais contente, car tu m’aimes et il doit t’être doux de voir avec quelle passion je t’aime de mon côté. Ne me dis plus pourtant que jamais je ne comprendrai à quel point tu m’aimes. Quelle affection ne dois-je pas comprendre, Adèle, moi qui t’aime d’un amour éternel et infini ? Aime-moi autant que je t’aime, ange, et nous aurons le bonheur le plus parfait que puisse contenir la vie.

Comment peux-tu craindre que je t’abandonne jamais si j’avais le malheur de voir tout ce que j’aime au monde malade ? Grand Dieu ! Adèle, il faudrait m’arracher de force de ton lit de douleur, et si l’on me repoussait aussi impitoyablement, on me verrait nuit et jour couché devant ta porte. Oh ! non, tu ne recevrais rien, n’est-ce pas, que des mains de ton Victor ? Tu supplierais avec lui tes parents de ne pas lui ôter la seule consolation qui puisse l’aider à supporter d’aussi cruelles inquiétudes, celle d’être continuellement et constamment auprès de ton lit, d’y veiller, d’y vivre. Et comment pourrais-je supporter qu’une main étrangère environne de soins, à défaut de moi, celle qui est pour moi, certes, bien plus que moi-même ? Et cela, dans le moment même où elle et moi aurions le plus besoin l’un de l’autre ! Non, mon Adèle bien-aimée, cela ne sera jamais. Ton mari sera jusqu’à et après sa mort, ton compagnon de joie et de douleur. Adèle, c’est cette idée qui remplit toute son âme et il s’y livre avec confiance. Adieu pour ce soir, les embarras des remèdes que tu m’as prescrits m’ont occupé une heure et demie et il était dix heures quand j’ai commencé à écrire. Adieu, mon Adèle adorée, j’achèverai demain. Je vais baiser ta lettre et tes cheveux, cela m’aidera peut-être à dormir comme j’espère que tu dors en ce moment. Adieu. »

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