Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 13 août 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Une fois encore, on peut constater que l’œuvre à venir se nourrira des « lettres à la fiancée ». Le dévouement promis et proclamé à cette « admirable jeune fille », cette adoration d’un « ange » préfigurent la dévotion de Quasimodo à Esmeralda. Quant au sacrifice envisagé pour un seul des regards de la belle, déjà proclamé dans des lettres précédentes, nous avions déjà remarqué qu’il réapparaîtra dans « Guitare », poème des Rayons et les ombres. Au fil des lettres, on voit de plus en plus le lien entre cette « Guitare » et l’histoire d’Adèle et de Victor : la mère de Doña Sabine « qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne/ Comme un hibou… » n’aurait-elle pas quelque chose de Mme Foucher venue surprendre Victor et Adèle dans la tour de Gentilly ? D’autre part, cette Doña Sabine qui rend fou d’amour Gastibelza s’enfuira avec le comte de Saldagne, abandonnant Gastibelza à sa folie de même qu’Adèle, devenue Mme Hugo, préfèrera à Victor son ami Sainte-Beuve.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« Mardi, 9 heures et demie du soir [13 août 1822].

« Il m’est impossible, mon Adèle, de me coucher avant de t’avoir répondu. Oh non ! tu n’es pas coupable, car tu n’as jamais pu penser un seul moment que je changerais, Adèle, tu n’as même pu le rêver. Je ne puis croire que les rêves mêmes puissent être à ce point menteurs. Moi, t’oublier ! moi, cesser jamais de t’aimer, de t’adorer, de t’idolâtrer ! N’est-il pas vrai, ange chéri, que cette idée ne s’est pas arrêtée un seul instant dans ton esprit ? Ce serait pour ton Victor une bien profonde douleur si jamais un doute pareil… Mais non, cela ne se peut et je rêve de me défendre d’un tel reproche. Me dire que je peux jamais cesser de t’aimer, c’est me dire que je n’ai point d’âme et qu’il n’y a point de Dieu. Et quelle autre créature humaine pourrait donc être digne d’un homme honoré de ton amour ? Est-il une femme au monde vers laquelle puisse descendre celui vers lequel tu as bien voulu descendre ? Et si tu daignes, toi, angélique et admirable jeune fille, avoir quelque estime pour cet homme encore si indigne de toi, pour ce Victor si fier d’être ton mari, comment peux-tu croire un moment que sa plus grande félicité ne serait pas de sacrifier pour un seul de tes regards mille vies et s’il était possible, mille éternités ?

O mon Adèle, quel être sur la terre peut te dire son dévouement égal au mien ? Est-ce que toutes mes paroles, toutes mes pensées, tous mes mouvements ne sont pas pour toi ? Est-ce que j’ai jamais éprouvé une joie qui ne me vînt pas de toi ? Est-ce que tu n’es pas mêlée à toutes mes douleurs ? Est-ce que tu n’es pas mon âme, ma vie, mon ciel ? Hélas ! Je vois Dieu en toi, je l’aime en toi, parce que je ne puis voir et aimer autre chose que toi. Ce sont peut-être là des blasphèmes ; mais pardonne-moi. Ce n’est pas offenser Dieu que d’adorer un ange. Il ne t’aurait pas créée si parfaite s’il n’avait voulu que celui qui te donnerait sa vie l’oubliât lui-même pour ne songer qu’à toi.

Adieu pour ce soir, mon Adèle adorée. Pourquoi ne puis-je pas te dire tout ce qui me gonfle le cœur ? Pourquoi ne puis-je trouver des paroles pour mon amour ? Adieu, dors bien. Je t’embrasse et je t’embrasse encore. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822