Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 12 juillet 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor, grâce à la parution de ses Odes et poésies diverses parues le 4 juin et teintées de royalisme bon teint, s’est vu confirmer qu’il recevrait une pension de la Maison du roi. Plus rien ne s’oppose donc à son mariage avec Adèle. La date du mariage est fixée avant même la demande officielle du père de Victor, Léopold, aux parents de la jeune fille. En ce 12 juillet, nous sommes donc à trois mois, jour pour jour, du mariage. Adèle se réjouit, dans cette lettre, que son amoureux et elle n’aient « rien fait qui soit indigne ». Rappelons que Victor a décidé de rester vierge jusqu’au mariage comme sa fiancée. Cette « pureté », Adèle l’envisage aussi sur le plan moral : « nous nous contenterons de ce que nous aurons, mais nous serons purs ». L’égalité entre la jeune fille et le jeune homme reste pourtant toute relative. Adèle constate que la seule gloire permise à une femme est celle de son fiancé ou de son mari. Et quand certaines femmes transgressent cette nécessité, la vie semble peu amène pour elles : quelques années avant, Mme de Staël affirmait que « pour une femme, la gloire est le deuil éclatant du bonheur ».

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

« 12 juillet 1822.

Trois mois encore et je serai toujours près de toi. Quand nous pensons à cela, nous devrions nous trouver bien heureux ! Et, quand nous pensons que nous n’aurons rien fait qui soit indigne, et que même nous aurions pu être ensemble plus tôt, mais que nous avons préféré notre propre estime à notre bonheur, combien ne serons-nous pas plus heureux ! Mon Victor, que jamais nous ne nous fassions rien qui puisse empêcher de considérer notre conduite avec joie, et, quand même nous serions pauvres, nous nous contenterons de ce que nous aurons, mais nous serons purs. Je parle pour deux, quoique je ne puisse rien aux affaires ; mais je serai toujours de moitié dans ce que tu feras. C’est bien ce qui fait toutes les jouissances que j’ai en ce monde qui sont de songer que toutes tes actions sont les miennes ; elles font tout mon bonheur et toute ma gloire. C’est la seule qui soit permise à une femme.

Je pense toujours combien est douce pour moi la confiance que j’ai en toi ; ma vie s’écoulera avec une personne qui me connaîtra tout entière, qui recevra toutes mes pensées, qui écoutera tout ce qui me sera inspiré avec indulgence et qui répondra à cette confiance sans bornes de la même manière, car, s’il n’était pas ainsi, alors, tout serait brisé. Mais aussi je vois l’avenir comme mon Victor me l’a annoncé ; il m’a dit que mon âme serait toujours inséparable de la sienne, que je saurais tout ce qui s’y passera. Ce sera l’union qui existera toujours entre nous deux. Tu me l’as promis, mon Victor, te le rappelles-tu ? Jamais il n’en sera autrement car sans cela comment pourrais-je vivre ? Moi qui mets toute ma vie dans la tienne ! Oh ! jamais, Victor, tu ne trouveras quelqu’un qui ait un amour plus pur et plus désintéressé. Je me demande toujours pourquoi, étant si peu de chose, tu as bien voulu m’aimer ; c’est bien aussi ce qui me donne de l’orgueil et qui me met au-dessus des autres créatures.

Oui, mon Victor, que jamais le désir que nous avons d’être mariés ne nous fasse rien faire de bas, car cette idée me fait horreur ; il ne faut jamais oublier sa dignité. Dieu nous a placés sur la terre pour parcourir l’espace qu’il y a entre nous et l’éternité, de manière que nous puissions, dans cette vie terrestre, nous honorer du titre de créatures de Dieu. Il nous a donné la même manière de sentir pour nous faire supporter les maux que nous ne pouvons éviter avec un courage réciproque. Nous sommes, mon Victor, aussi heureusement placés que possible et notre union parfaite est le plus grand bonheur que des hommes puissent atteindre. »

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