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Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 6 septembre 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

N’EST-CE PAS, MON AMI, QUE NOUS SERONS HEUREUX ?

Adèle, prisonnière des carcans imposés aux jeunes filles en ce XIXe siècle très puritain, a accordé très rarement à son fiancé les baisers que l’ardent jeune homme lui réclamait. La bienséance qui lui imposait une certaine froideur apparente à l’égard du bien-aimé va cesser avec le mariage, se réjouit Adèle. Elle pourra montrer sans se cacher qu’elle aime son mari.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre reçue le vendredi 6 septembre 1822

« Cher ami, que tu me fais toujours de la peine ! Tu es bien cruel de me dire toujours la même chose ; mais j’ai été bien heureuse, hier soir, d’être près de toi et d’avoir ma main dans la tienne. Tu sais bien, mon ami, que tu es tout mon bonheur, toute ma joie, et qu’il est mal à toi de ne pas faire le mien.

Cher ami, dans un mois, n’est-ce pas, je serai ta femme aux yeux de tout le monde ; car tout cela m’ennuie bien de ne pas pouvoir montrer comme je t’aime. Oh oui ! car c’est bien dur d’avoir presque l’air de t’être étrangère lorsque je suis liée à toi par l’amour le plus grand.

Oh ! que nous aurons acheté notre bonheur ! N’est-ce pas, mon ami, que nous serons heureux ? »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 4 septembre 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

IL EST BIEN TEMPS QUE JE SOIS HEUREUX

Le jeune Victor Hugo, encore royaliste en 1822 – ses Odes en témoignent -, s’est vu octroyer une pension du roi Louis XVIII de 1000 F. On lui avait parlé de 1200 F mais la pension a été réduite. On lui a cependant laissé espérer une autre pension, du ministère de l’Intérieur. Le couple ne vivra pas dans l’opulence mais Victor aura tout de même, s’il ajoute à cette pension déjà acquise, quelques droits d’auteur, de quoi faire vivre sa jeune épouse. Les obstacles semblent levés et les jeunes amoureux peuvent se préparer à un mariage heureux et serein.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« Mercredi, deux heures après-midi [4 septembre 1822].

« Que je me repose un instant avec toi, mon Adèle ! J’ai été ce matin à Passy et je reviens travailler. C’est en ce moment-ci même que je devais être près de toi, du moins qu’il te soit consacré.

Je te verrai ce soir, mon Adèle, rien que ce soir ! Je t’apporterai une bonne nouvelle qui aurait cependant pu être meilleure, mais enfin je craignais quelque chose de pis. Une réduction de 200 francs ne m’épouvante pas : ce sera autant de plus à regagner par mon travail. Peut-être d’ailleurs serons-nous dédommagés par la pension de l’Intérieur. Enfin !…

Faut-il te le dire, mon Adèle bien-aimée ? Il est bien temps que je sois heureux. Je commençais à me lasser de ma position équivoque. Je m’effrayais quelquefois en moi-même d’un avenir qui ne m’offrait rien de fixe que ma volonté. Il m’était insupportable de voir le plus grand et le plus noble des bonheurs reculer ainsi devant mes yeux avec cette misérable pension. Il a fallu tout cela pour qu’elle eût quelque prix pour moi. Ce sera vraiment une étrange circonstance de notre vie que d’avoir été si longtemps contraints de mêler des affaires d’argent à des choses du cœur. Enfin, enfin, tout annonce que cette intolérable nécessité va cesser.

Oh ! quel jour heureux que celui où ton Victor n’aura plus à songer qu’au bonheur !

Adieu pour l’instant, chère amie, je vais aller voir où en sont les débats des assises, s’ils pouvaient durer jusqu’à vendredi ! Une journée entière près de toi ! C’est encore une chose singulière de notre position que d’être contraints, pour trouver quelques instants de doux entretiens, de nous réfugier dans la salle d’un tribunal. Personne ne se doute pourquoi je désirerais la prolongation du procès. Adieu donc, mon Adèle chérie, nous nous reverrons à cinq heures. En attendant, je t’embrasse bien tendrement.

Ton VICTOR. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 13 août 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Une fois encore, on peut constater que l’œuvre à venir se nourrira des « lettres à la fiancée ». Le dévouement promis et proclamé à cette « admirable jeune fille », cette adoration d’un « ange » préfigurent la dévotion de Quasimodo à Esmeralda. Quant au sacrifice envisagé pour un seul des regards de la belle, déjà proclamé dans des lettres précédentes, nous avions déjà remarqué qu’il réapparaîtra dans « Guitare », poème des Rayons et les ombres. Au fil des lettres, on voit de plus en plus le lien entre cette « Guitare » et l’histoire d’Adèle et de Victor : la mère de Doña Sabine « qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne/ Comme un hibou… » n’aurait-elle pas quelque chose de Mme Foucher venue surprendre Victor et Adèle dans la tour de Gentilly ? D’autre part, cette Doña Sabine qui rend fou d’amour Gastibelza s’enfuira avec le comte de Saldagne, abandonnant Gastibelza à sa folie de même qu’Adèle, devenue Mme Hugo, préfèrera à Victor son ami Sainte-Beuve.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« Mardi, 9 heures et demie du soir [13 août 1822].

« Il m’est impossible, mon Adèle, de me coucher avant de t’avoir répondu. Oh non ! tu n’es pas coupable, car tu n’as jamais pu penser un seul moment que je changerais, Adèle, tu n’as même pu le rêver. Je ne puis croire que les rêves mêmes puissent être à ce point menteurs. Moi, t’oublier ! moi, cesser jamais de t’aimer, de t’adorer, de t’idolâtrer ! N’est-il pas vrai, ange chéri, que cette idée ne s’est pas arrêtée un seul instant dans ton esprit ? Ce serait pour ton Victor une bien profonde douleur si jamais un doute pareil… Mais non, cela ne se peut et je rêve de me défendre d’un tel reproche. Me dire que je peux jamais cesser de t’aimer, c’est me dire que je n’ai point d’âme et qu’il n’y a point de Dieu. Et quelle autre créature humaine pourrait donc être digne d’un homme honoré de ton amour ? Est-il une femme au monde vers laquelle puisse descendre celui vers lequel tu as bien voulu descendre ? Et si tu daignes, toi, angélique et admirable jeune fille, avoir quelque estime pour cet homme encore si indigne de toi, pour ce Victor si fier d’être ton mari, comment peux-tu croire un moment que sa plus grande félicité ne serait pas de sacrifier pour un seul de tes regards mille vies et s’il était possible, mille éternités ?

O mon Adèle, quel être sur la terre peut te dire son dévouement égal au mien ? Est-ce que toutes mes paroles, toutes mes pensées, tous mes mouvements ne sont pas pour toi ? Est-ce que j’ai jamais éprouvé une joie qui ne me vînt pas de toi ? Est-ce que tu n’es pas mêlée à toutes mes douleurs ? Est-ce que tu n’es pas mon âme, ma vie, mon ciel ? Hélas ! Je vois Dieu en toi, je l’aime en toi, parce que je ne puis voir et aimer autre chose que toi. Ce sont peut-être là des blasphèmes ; mais pardonne-moi. Ce n’est pas offenser Dieu que d’adorer un ange. Il ne t’aurait pas créée si parfaite s’il n’avait voulu que celui qui te donnerait sa vie l’oubliât lui-même pour ne songer qu’à toi.

Adieu pour ce soir, mon Adèle adorée. Pourquoi ne puis-je pas te dire tout ce qui me gonfle le cœur ? Pourquoi ne puis-je trouver des paroles pour mon amour ? Adieu, dors bien. Je t’embrasse et je t’embrasse encore. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 13 août 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Adèle semble comparer défavorablement sa famille à Victor, dont elle pressent probablement le génie. Une fois encore, elle se plaint des reproches de sa mère, toujours jalouse de l’amour de sa fille pour le jeune homme. Exagère-t-elle ? N’y aurait-il pas surtout chez Mme Foucher la tristesse de voir son enfant devenir une femme et lui échapper ?

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre reçue le 13 août 1822

« J’ai passé une bien mauvaise nuit, mon Victor ; j’ai rêvé de bien tristes choses. Mais ce n’était qu’un rêve, car, sans cela je ne vivrais pas. Cher ami, n’est-ce pas que tu n’aimeras jamais que moi ?

Je viens d’être grondée ; maman ne m’aime plus ; je n’ai que toi, mon Victor ; maman m’a dit que je n’aime plus personne que toi, que je déteste Paul. Elle m’en veut beaucoup. J’avoue que, ne sachant pas dissimuler, tout le monde peut s’apercevoir que je juge ma famille d’après une personne que j’estime, que j’aime par-dessus tout. Toutes les actions de mon entourage me paraissent, en comparaison des tiennes, tellement en-dessous, qu’elles ne peuvent pas soutenir la comparaison. Qu’ai-je dit, mon ami ? Crois que, cependant, après toi, je ne vois rien de comparable à mes parents, que je les estime ; je sais tout ce que ma bonne mère a fait pour moi ; qu’elle a sacrifié ses veilles, tout au monde pour sa fille, qu’elle aurait donné mille vies pour me sauver un douleur ; et moi, fille ingrate, j’aime mon Victor tant de fois plus qu’elle que je ne saurais le dire.

Maman me disait, l’autre fois, qu’elle avait l’âme triste, que les soins qu’elle avait donnés à sa fille n’avaient point été sentis, et elle me dit :

– Qui te dit que M. Victor ferait pour toi ce que j’ai fait ?

– Parce que, lui répondis-je, j’en ferais davantage pour lui.

Cette réponse m’a échappé, elle était dure pour maman et je m’en suis repentie ; mais j’ai dit ce que je pensais.

Quelquefois, je songe qu’un instant peut tout changer et que cette personne pour laquelle j’ai tout oublié ne sera peut-être pas toujours de même. Je pensais cela de toi, mon Victor, et j’étais bien coupable, n’est-ce pas ?

Mais j’ai promis de ne te rien cacher. Car, si tu changeais, sur qui pourrait-on compter ? De tout ce qui doit quitter cette terre, tu es le seul être sur lequel je fonde tout ce qui fait vivre, tout mon bonheur. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 13 juillet 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor, comme Adèle, regrette à nouveau les moments heureux passés à Gentilly dans la maison de campagne des Foucher, où ils pouvaient se voir et se parler en permanence. Mais surtout, Victor remarque la jalousie de sa future belle-mère à son égard. Ce n’est pas la première fois que les lettres des fiancés font allusion à cette situation. Mme Foucher ne voit pas d’un très bon œil la passion de sa fille pour Victor et semble avoir l’impression de ne plus être aimée. Mais Victor encourage la fiancée à développer cet amour exclusif et veut être tout pour elle.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« 2 heures après-midi.

Je saisis tous les moments où je peux t’écrire, afin que cette journée s’abrège. Elle est si longue. Oh oui ! regrettons, mon Adèle, notre Gentilly. Qu’est-ce que ces trois heures passées le soir dans une gêne perpétuelle près de la douceur de dormir sous le même toit, de respirer le même air, de m’asseoir à la même table que toi. Hier, chère amie, j’ai essayé de prendre ta défense contre des reproches bien singuliers : je n’ai pas été bien reçu ; mais pour toi, est-ce que je ne supporte pas tout ? Est-ce donc à ta mère de m’envier une tendresse que tu ne pourrais me refuser sans la plus profonde ingratitude, car il n’y a que l’amour qui puisse payer l’amour ! Comment ! ta mère voudrait que tu ne répondisses que par une affection secondaire à l’attachement le plus ardent, au dévoûment le plus absolu, à l’amour et au respect le plus profond ! O répète-moi sans relâche, mon Adèle bien-aimée, ce que tu me disais dans ta douce lettre d’hier que ton Victor est tout pour toi comme tu es tout pour lui, que toutes les affections s’évanouissent devant notre amour mutuel, redis-le moi sans cesse, car c’est du plus profond de mon cœur que je t’affirme que j’ai besoin de cette conviction pour vivre. Si demain je cessais de croire en toi, Adèle, mon existence se briserait d’elle-même, car où serait mon appui dans la vie pour supporter le poids d’un pareil malheur ? Oh non, non, je t’aime, je t’aime, et tu ne peux ne pas m’aimer, toi qui es un ange. Adieu, adieu, mon Adèle, ton mari t’embrasse et t’embrasse encore. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 12 juillet 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor, grâce à la parution de ses Odes et poésies diverses parues le 4 juin et teintées de royalisme bon teint, s’est vu confirmer qu’il recevrait une pension de la Maison du roi. Plus rien ne s’oppose donc à son mariage avec Adèle. La date du mariage est fixée avant même la demande officielle du père de Victor, Léopold, aux parents de la jeune fille. En ce 12 juillet, nous sommes donc à trois mois, jour pour jour, du mariage. Adèle se réjouit, dans cette lettre, que son amoureux et elle n’aient « rien fait qui soit indigne ». Rappelons que Victor a décidé de rester vierge jusqu’au mariage comme sa fiancée. Cette « pureté », Adèle l’envisage aussi sur le plan moral : « nous nous contenterons de ce que nous aurons, mais nous serons purs ». L’égalité entre la jeune fille et le jeune homme reste pourtant toute relative. Adèle constate que la seule gloire permise à une femme est celle de son fiancé ou de son mari. Et quand certaines femmes transgressent cette nécessité, la vie semble peu amène pour elles : quelques années avant, Mme de Staël affirmait que « pour une femme, la gloire est le deuil éclatant du bonheur ».

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

« 12 juillet 1822.

Trois mois encore et je serai toujours près de toi. Quand nous pensons à cela, nous devrions nous trouver bien heureux ! Et, quand nous pensons que nous n’aurons rien fait qui soit indigne, et que même nous aurions pu être ensemble plus tôt, mais que nous avons préféré notre propre estime à notre bonheur, combien ne serons-nous pas plus heureux ! Mon Victor, que jamais nous ne nous fassions rien qui puisse empêcher de considérer notre conduite avec joie, et, quand même nous serions pauvres, nous nous contenterons de ce que nous aurons, mais nous serons purs. Je parle pour deux, quoique je ne puisse rien aux affaires ; mais je serai toujours de moitié dans ce que tu feras. C’est bien ce qui fait toutes les jouissances que j’ai en ce monde qui sont de songer que toutes tes actions sont les miennes ; elles font tout mon bonheur et toute ma gloire. C’est la seule qui soit permise à une femme.

Je pense toujours combien est douce pour moi la confiance que j’ai en toi ; ma vie s’écoulera avec une personne qui me connaîtra tout entière, qui recevra toutes mes pensées, qui écoutera tout ce qui me sera inspiré avec indulgence et qui répondra à cette confiance sans bornes de la même manière, car, s’il n’était pas ainsi, alors, tout serait brisé. Mais aussi je vois l’avenir comme mon Victor me l’a annoncé ; il m’a dit que mon âme serait toujours inséparable de la sienne, que je saurais tout ce qui s’y passera. Ce sera l’union qui existera toujours entre nous deux. Tu me l’as promis, mon Victor, te le rappelles-tu ? Jamais il n’en sera autrement car sans cela comment pourrais-je vivre ? Moi qui mets toute ma vie dans la tienne ! Oh ! jamais, Victor, tu ne trouveras quelqu’un qui ait un amour plus pur et plus désintéressé. Je me demande toujours pourquoi, étant si peu de chose, tu as bien voulu m’aimer ; c’est bien aussi ce qui me donne de l’orgueil et qui me met au-dessus des autres créatures.

Oui, mon Victor, que jamais le désir que nous avons d’être mariés ne nous fasse rien faire de bas, car cette idée me fait horreur ; il ne faut jamais oublier sa dignité. Dieu nous a placés sur la terre pour parcourir l’espace qu’il y a entre nous et l’éternité, de manière que nous puissions, dans cette vie terrestre, nous honorer du titre de créatures de Dieu. Il nous a donné la même manière de sentir pour nous faire supporter les maux que nous ne pouvons éviter avec un courage réciproque. Nous sommes, mon Victor, aussi heureusement placés que possible et notre union parfaite est le plus grand bonheur que des hommes puissent atteindre. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 8 juin 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor est consolé de son désespoir de l’avant-veille – le refus de sa fiancée de venir seule chez lui -, par la lettre tendre et aimante envoyée par Adèle. On apprend d’un aveu qu’il fait à la fiancée que sa mère lui a appris à ne pas extérioriser ses sentiments : il pleure rarement. Comme le fait justement remarquer Jean Massin, l’éditeur des œuvres complètes de Hugo au Club Français du livre, cette éducation a influé sur les textes de Hugo qui est « un des génies les plus pudiques et les moins spontanément effusifs ». Dans Les Contemplations, par exemple, recueil-tombeau de sa fille morte, l’émotion n’est jamais larmoyante et le prénom de la disparue n’est jamais prononcé.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

Lettre intégrale de Victor à Adèle du samedi [8 juin]

« Ne te plains pas, mon Adèle, de la soirée d’avant-hier. Quoique je sente alors plus vivement que jamais les chagrins qui me viennent de toi, ce sont toujours de bienheureux moments pour ton Victor que ceux qu’il passe près de moi. Juges-en par l’empire absolu que la moindre de tes paroles exerce sur ton mari. Oh ! console-moi toujours ainsi, bien-aimée Adèle, des larmes que tu me feras verser. Je ne donnerais pas maintenant pour le bonheur des anges la douleur à la vérité bien amère que tu m’as causée, puisqu’elle m’a valu une lettre si douce et des consolations si tendres. Chère amie, oui, cette douleur a été bien vive. Les larmes me font bien mal. Ceux qui pleurent aisément sont soulagés quand ils pleurent. Moi, je n’ai pas ce bonheur. Celles de mes larmes qui peuvent sortir sont celles qui me soulagent ; mais presque toutes me restent sur le cœur et m’étouffent. Une mère qui a prévu le cas où l’on est seul dans la vie, m’a accoutumé dès l’enfance à tout dévorer et à tout garder pour moi.

Pourtant, Adèle, il m’est bien doux de m’épancher en toi. Endurées pour toi, les fatigues et les souffrances ne me sont rien ; mais si je te vois quelquefois les deviner et les plaindre, alors, mon Adèle adorée, elles me sont chères et précieuses. Hélas ! n’as-tu pas pleuré aussi, toi, avant-hier ? Qu’est-ce donc que mes larmes ? O mon amie, combien les tiennes m’ont encore fait plus de mal ! Elles sont retombées douloureusement sur mon cœur, comme des remords. Pardonne-moi, va, je me hais bien. Adèle, que notre, que mon bonheur, serait grand si ce que disait aujourd’hui ta mère se réalisait ! Quel bonheur ! Ayons une confiance mutuelle en nous-mêmes et dans l’avenir. Adèle, n’est-il pas vrai que je serai bien heureux ? Comment ma femme peut-elle maintenant craindre de revenir dans ma tour ? Adèle, il faut que tu redoutes un bien grand danger pour me priver, moi, ton Victor, du plus grand bonheur dont il puisse jouir à présent. Consulte avant tout ton intérêt. Mon Adèle adorée, je ne t’adresserai plus une prière d’égoïste, mais j’aurai un bien vif chagrin. Adieu, je vais te voir dans quelques minutes, mais il m’est bien triste de penser que je ne serai pas près de ma femme dans le voyage à Gentilly. Hélas ! Mon Adèle bien-aimée, adieu ! Je veux que tu me dises que tu m’embrasses, je le veux, c’est-à-dire que je t’en prie. Adieu donc, embrasse ton mari, ton Victor. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 7 juin 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

L’amour donne des ailes. Adèle a eu l’audace, le 3 juin, d’aller voir Victor chez lui, seule ! Voilà de quoi la déshonorer aux yeux de la société puritaine du XIXe siècle. Le jeune poète commence à être connu et apprécié. Un éditeur, Pélicier, vient de publier ses Odes et Poésies diverses qui enchantent Lamennais. Victor dédicace ainsi le premier exemplaire : « à mon Adèle bien-aimée, à l’ange qui est ma seule gloire comme mon seul bonheur ». Pourtant, l’audace de l’ange a des limites. Le 6 juin, malgré l’insistance de Victor, Adèle a refusé de lui faire une nouvelle visite secrète. Il en a pleuré de déception. Elle regrette de l’avoir à ce point affligé.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre dans son intégralité reçue le 7 juin 1822

« Quelle soirée nous avons passée, mon ami ! Je t’ai fait de la peine ; pardonne-moi, je t’en supplie. J’étais aussi bien malheureuse et le suis encore. J’ai de la tristesse et de l’ennui d’être si longtemps sans nous voir. Je suis souffrante, ce qui se joint un peu à mes tristes pensées. Que je voudrais te voir heureux, et bien heureux ! Quel bonheur pour moi de te voir ! Mais mon ami, ce serait nous exposer à nous perdre. Tu le sentiras toi-même ; je n’ai pas la force de dire que je n’irai pas ; tout cela me coûte à penser. Mais c’est toi, mon Victor, qui dois me soutenir dans cette détermination.

Cher ami, je t’ai vu pleurer, jeudi ; combien tu m’as fait de mal ! et à cause de moi, et dans un endroit où je ne pouvais pas baiser tes larmes. Mais tu as pardonné à ton Adèle, qui ne savait pas te faire de la peine, car, si je l’avais su, il est impossible de croire que j’aurais eu seulement l’idée de te faire l’ombre d’une petit chagrin, moi qui passe mon temps à chercher tout ce qui peut te rendre heureux ! »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 29 mai 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

NUIT ET JOUR COUCHÉ DEVANT TA PORTE

Victor, comme Adèle, souffre de ne plus voir sa bien-aimée aussi souvent qu’à Gentilly. Malade, il suit les prescriptions de celle-ci, qui lui a donné des conseils pour se soigner, mais il est persuadé que la lettre de la jeune fille sera le plus efficace des remèdes. Il s’imagine, comme un chien, couché devant sa porte, si jamais la jeune fille était malade et si on ne lui permettait pas d’être à son chevet. Il y a un peu chez le jeune Hugo quelque chose de ce fou d’amour appelé « Gastibelza » dans le poème des Rayons et les Ombres intitulé « Guitare » et qui sera mis en musique par Liszt et par Brassens :

… je sais bien
Que pour avoir un regard de son âme,
Moi, pauvre chien,
J’aurais gaîment passé dix ans au bagne
Sous le verrou … –
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

« Mercredi soir [29 mai 1822]

Je viens de lire ta lettre, ta douce et charmante lettre. J’ai fait tous les remèdes que tu m’as demandés, mais ce n’est pas sur eux que je compte pour me guérir, mon Adèle adorée, c’est sur ta lettre. Que ne peux-tu savoir, dès à présent, chère amie, combien ce peu de mots de toi m’a fait de bien ! Tu en serais contente, car tu m’aimes et il doit t’être doux de voir avec quelle passion je t’aime de mon côté. Ne me dis plus pourtant que jamais je ne comprendrai à quel point tu m’aimes. Quelle affection ne dois-je pas comprendre, Adèle, moi qui t’aime d’un amour éternel et infini ? Aime-moi autant que je t’aime, ange, et nous aurons le bonheur le plus parfait que puisse contenir la vie.

Comment peux-tu craindre que je t’abandonne jamais si j’avais le malheur de voir tout ce que j’aime au monde malade ? Grand Dieu ! Adèle, il faudrait m’arracher de force de ton lit de douleur, et si l’on me repoussait aussi impitoyablement, on me verrait nuit et jour couché devant ta porte. Oh ! non, tu ne recevrais rien, n’est-ce pas, que des mains de ton Victor ? Tu supplierais avec lui tes parents de ne pas lui ôter la seule consolation qui puisse l’aider à supporter d’aussi cruelles inquiétudes, celle d’être continuellement et constamment auprès de ton lit, d’y veiller, d’y vivre. Et comment pourrais-je supporter qu’une main étrangère environne de soins, à défaut de moi, celle qui est pour moi, certes, bien plus que moi-même ? Et cela, dans le moment même où elle et moi aurions le plus besoin l’un de l’autre ! Non, mon Adèle bien-aimée, cela ne sera jamais. Ton mari sera jusqu’à et après sa mort, ton compagnon de joie et de douleur. Adèle, c’est cette idée qui remplit toute son âme et il s’y livre avec confiance. Adieu pour ce soir, les embarras des remèdes que tu m’as prescrits m’ont occupé une heure et demie et il était dix heures quand j’ai commencé à écrire. Adieu, mon Adèle adorée, j’achèverai demain. Je vais baiser ta lettre et tes cheveux, cela m’aidera peut-être à dormir comme j’espère que tu dors en ce moment. Adieu. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822