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Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 7 juin 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

L’amour donne des ailes. Adèle a eu l’audace, le 3 juin, d’aller voir Victor chez lui, seule ! Voilà de quoi la déshonorer aux yeux de la société puritaine du XIXe siècle. Le jeune poète commence à être connu et apprécié. Un éditeur, Pélicier, vient de publier ses Odes et Poésies diverses qui enchantent Lamennais. Victor dédicace ainsi le premier exemplaire : « à mon Adèle bien-aimée, à l’ange qui est ma seule gloire comme mon seul bonheur ». Pourtant, l’audace de l’ange a des limites. Le 6 juin, malgré l’insistance de Victor, Adèle a refusé de lui faire une nouvelle visite secrète. Il en a pleuré de déception. Elle regrette de l’avoir à ce point affligé.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre dans son intégralité reçue le 7 juin 1822

« Quelle soirée nous avons passée, mon ami ! Je t’ai fait de la peine ; pardonne-moi, je t’en supplie. J’étais aussi bien malheureuse et le suis encore. J’ai de la tristesse et de l’ennui d’être si longtemps sans nous voir. Je suis souffrante, ce qui se joint un peu à mes tristes pensées. Que je voudrais te voir heureux, et bien heureux ! Quel bonheur pour moi de te voir ! Mais mon ami, ce serait nous exposer à nous perdre. Tu le sentiras toi-même ; je n’ai pas la force de dire que je n’irai pas ; tout cela me coûte à penser. Mais c’est toi, mon Victor, qui dois me soutenir dans cette détermination.

Cher ami, je t’ai vu pleurer, jeudi ; combien tu m’as fait de mal ! et à cause de moi, et dans un endroit où je ne pouvais pas baiser tes larmes. Mais tu as pardonné à ton Adèle, qui ne savait pas te faire de la peine, car, si je l’avais su, il est impossible de croire que j’aurais eu seulement l’idée de te faire l’ombre d’une petit chagrin, moi qui passe mon temps à chercher tout ce qui peut te rendre heureux ! »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 13 avril 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

«CE NE SERA QUE PAR TON TRAVAIL QUE J’ACHÈTERAI LE BONHEUR »Nous avons là un exemple de ce qu’est le sort d’une jeune bourgeoise au XIXe siècle :  partager les tâches ménagères avec sa mère et plus tard assister son mari dans son travail, cette dernière occupation étant souhaitée par Adèle comme l’obtention du bonheur. Une fois mariée, Adèle connaîtra trop de grossesses successives pour pouvoir se livrer à cette tâche : elle ne servira pas de copiste à son mari comme plus tard la maîtresse de celui-ci, Juliette Drouet. Le désir de s’affirmer et de faire œuvre personnelle, Adèle l’éprouvera et le comblera des années après dans la biographie qu’elle publiera sous le titre Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie mais sans signer le livre, remanié par ses fils et Auguste Vacquerie, ami de la famille. Justice sera rendue à l’auteure,  plus d’un siècle après, en 1985, pour le centenaire de la mort de Hugo : le  texte de celle-ci lui sera enfin attribué, et publié sous le titre Victor Hugo raconté par Adèle Hugo.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Adèle à V.H., le 13 avril 1822

« Il t’a semblé que j’étais triste, à Gentilly ; j’étais seulement heureuse ; j’étais aussi chagrine quand je pensais que tu allais t’en aller seul dans ta tour. Je crois que le seul moyen de supporter cette séparation est de travailler, de penser que ce même travail amènera le bonheur. Je voudrais pouvoir partager tes travaux, mais je n’ai pas même cette jouissance ; que je reste dans l’inaction ou que je m’occupe, cela n’avance à rien. Plains-moi, mon ami, de te sentir passer ta vie dans le travail, et de n’être, moi, qu’une espèce de paresseuse. Il est vrai, j’aide maman dans le ménage, je la soulage, et je me plains ! Ne devrais-je pas me trouver heureuse d’être de moitié dans ses actions ? Non, ce sont les tiennes que je veux partager, celles de mon mari, de mon ami. Ce ne sera que par ton travail que j’achèterai mon bonheur. Dis-moi, puis-je te servir à quelque chose ? »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 13 mars 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

« JE TE SUIVRAIS PARTOUT »

La jeune Adèle, souvent méprisée bien injustement par les commentateurs et critiques se montre pourtant déterminée et audacieuse dans cette lettre du 13 mars : elle est prête à quitter père et mère pour suivre Victor. Ce n’est pas anodin et cette promesse qu’elle fait à son amoureux dénote une grande force de caractère et même un brin de folie ou d’inconscience : on ne plaisante pas avec l’honneur des jeunes filles au XIXe siècle et elle risque, si elle se fait enlever par son bien-aimé, l’opprobre et la marginalisation. L’auteur d’Hernani se souviendra de cet élan fougueux et passionné. Doña Sol a bien les mêmes réponses qu’Adèle quand celui qu’elle aime lui dit que sa vie est rude, faite d’errances et de danger et qu’il vaudrait mieux pour elle épouser le vieux Don Ruy Gomez. Aux descriptions terrifiantes qu’il lui fait de son existence, la jeune aristocrate espagnole affirme à plusieurs reprises : « Je vous suivrai » puis ajoute « Allez où vous voudrez, j’irai. Restez, partez, / Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je l’ignore. / J’ai besoin de vous voir et de vous voir encore ».

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre (dans son intégralité) reçue le mercredi 13 mars 1822

« Tu as sans doute cru, mon ami, que je parlais sans réflexion, lorsque je te disais que je te suivrais partout. Mais c’est la résolution la plus méditée et la plus réfléchie. Et crois-tu qu’après avoir été ton amie dans une situation heureuse, je t’abandonnerais lorsque tu aurais besoin, plus que dans toute autre occasion, d’être soutenu ? Et, lorsque tu me dis que c’est peu généreux à toi de m’enlever à ma patrie, à mes parents, crois-tu donc encore qu’il serait plus généreux à toi de m’abandonner et de me laisser seule, puisque toi n’y étant pas, je suis aussi isolée que si j’étais dans un désert ? Je ne demande qu’à pouvoir te consoler, remonter ton courage quand il s’affaiblira, enfin partager ton sort, quel qu’il soit. Je n’ai d’autre bonheur que toi et comment veux-tu me laisser ainsi ? Mais, cher ami, que ce ne soit qu’aux dernières extrêmités que nous nous trouvions forcés de quitter ce que j’ai, après toi, de plus cher au monde. Des parents si bons, si généreux pour moi, demandaient une autre fille ; car, mon ami, est-il rien de meilleur qu’eux ? Et quand je pense qu’il est possible que je laisse de semblables parents dans la douleur, je voudrais qu’ils n’eussent jamais rien fait pour moi. Mais je pense aussi qu’ils auront des sujets de consolation, qu’ils ont d’autres enfants, et que toi, mon ami, tu es seul au monde. Non, jamais je ne te quitterai ! Comment, je pourrais te rendre moins malheureux et je ne le ferais pas !

Victor, tu n’aurais pas ainsi abandonner ta mère, et moi qui suis fille, moi qui ai été et suis encore chérie d’une si tendre mère, je me propose de la laisser ! Mais, dans cette circonstance, si je ne faisais pas ce que tu n’aurais pas fait, je mourrais.

Ainsi, cher ami, ne vois pas dans cette action, que tu dis généreuse, que de l’égoïsme de ma part. J’ai peur de ne pouvoir supporter un pareil événement, et c’est pour moi que j’agis, c’est parce que l’inquiétude m’enverrait dans la tombe et que je ne veux pas y aller. Je suivrai en tout ton destin. Après cela, c’est à toi à ménager la bonté de mes parents, à tâcher de ne me les faire jamais quitter. Mais ne crois pas pouvoir me laisser sans me retrouver folle ou morte. Tout espoir n’est par perdu. Pourquoi avons-nous de semblables pressentiments ? Qu’y a-t-il de plus inquiétant maintenant qu’il y a quinze jours ? Ton père peut faire quelques difficultés, au premier moment, c’est même naturel ; il t’élèvera de grands empêchements, on doit s’y attendre. Tu feras ton possible, et si, après n’avoir rien à nous reprocher, il persiste à vouloir nous séparer, c’est alors qu’il aura mal calculé, car je suis ta femme ; et Dieu, qui lit dans mon âme, sait quelles sont mes intentions, et me pardonnera une action qui a un but si légitime, et, sûrement, ce grand Dieu n’a pas fait deux êtres qui ne peuvent vivre l’un sans l’autre pour les séparer. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822