Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.
Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.
IL EST BIEN TEMPS QUE JE SOIS HEUREUX
Le jeune Victor Hugo, encore royaliste en 1822 – ses Odes en témoignent -, s’est vu octroyer une pension du roi Louis XVIII de 1000 F. On lui avait parlé de 1200 F mais la pension a été réduite. On lui a cependant laissé espérer une autre pension, du ministère de l’Intérieur. Le couple ne vivra pas dans l’opulence mais Victor aura tout de même, s’il ajoute à cette pension déjà acquise, quelques droits d’auteur, de quoi faire vivre sa jeune épouse. Les obstacles semblent levés et les jeunes amoureux peuvent se préparer à un mariage heureux et serein.
© Danièle Gasiglia-Laster
Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.
« Mercredi, deux heures après-midi [4 septembre 1822].
« Que je me repose un instant avec toi, mon Adèle ! J’ai été ce matin à Passy et je reviens travailler. C’est en ce moment-ci même que je devais être près de toi, du moins qu’il te soit consacré.
Je te verrai ce soir, mon Adèle, rien que ce soir ! Je t’apporterai une bonne nouvelle qui aurait cependant pu être meilleure, mais enfin je craignais quelque chose de pis. Une réduction de 200 francs ne m’épouvante pas : ce sera autant de plus à regagner par mon travail. Peut-être d’ailleurs serons-nous dédommagés par la pension de l’Intérieur. Enfin !…
Faut-il te le dire, mon Adèle bien-aimée ? Il est bien temps que je sois heureux. Je commençais à me lasser de ma position équivoque. Je m’effrayais quelquefois en moi-même d’un avenir qui ne m’offrait rien de fixe que ma volonté. Il m’était insupportable de voir le plus grand et le plus noble des bonheurs reculer ainsi devant mes yeux avec cette misérable pension. Il a fallu tout cela pour qu’elle eût quelque prix pour moi. Ce sera vraiment une étrange circonstance de notre vie que d’avoir été si longtemps contraints de mêler des affaires d’argent à des choses du cœur. Enfin, enfin, tout annonce que cette intolérable nécessité va cesser.
Oh ! quel jour heureux que celui où ton Victor n’aura plus à songer qu’au bonheur !
Adieu pour l’instant, chère amie, je vais aller voir où en sont les débats des assises, s’ils pouvaient durer jusqu’à vendredi ! Une journée entière près de toi ! C’est encore une chose singulière de notre position que d’être contraints, pour trouver quelques instants de doux entretiens, de nous réfugier dans la salle d’un tribunal. Personne ne se doute pourquoi je désirerais la prolongation du procès. Adieu donc, mon Adèle chérie, nous nous reverrons à cinq heures. En attendant, je t’embrasse bien tendrement.
Ton VICTOR. »
Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822