Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 9 février 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 19 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

SOMBRE COMME DIDIER, JALOUX COMME HERNANI

   Adèle et Victor ne peuvent toujours pas se marier car Victor n’est pas encore en mesure, financièrement, d’entretenir une épouse. Ils continuent à s’écrire en secret. Le jeune Victor est fou d’amour, fou de jalousie et, à cette époque, plutôt rigide et puritain.  Son Adèle fréquente-t-elle la belle Julie Duvidal de Montferrier, artiste peintre ? Il le lui déconseille, considérant qu’une femme artiste se déconsidère : « Il suffit qu’une femme appartienne au public sous un rapport pour que le public croie qu’elle lui appartient sous tous ».  Adèle se demande si elle a le droit de l’embrasser, il répond par l’affirmative puisqu’ils sont destinés à devenir mari et femme. Mais les commères jasent, ce qui ennuie Adèle.  Victor a appris qu’elle avait dansé une partie de la nuit, au cours d’un bal. Il manifeste son mécontentement. Adèle se sent humiliée par ce manque de confiance. Que de tourments chez ces amoureux contrariés !  Il la voudrait toute à lui, ne se rend pas compte qu’elle est tiraillée entre des parents qui la surveillent, la morale étroite d’un XIXe siècle qui maintient filles et femmes dans un carcan, et son jeune amoureux exigeant et fébrile.

   La vie semble comme une ébauche de l’œuvre en devenir ou à venir.  Le jeune Victor Hugo avoue à Adèle qu’il a beaucoup mis d’elle dans Ethel, jeune héroïne du roman qu’il est en train d’écrire,  Han d’Islande , il est tourmenté comme le Didier de Marion de Lorme, cette pièce qu’il composera sept ans plus tard, jaloux comme le personnage qui donne son nom au drame conçu l’année suivante, Hernani. Les amoureux de la fiction emprunteront beaucoup, dans les années 1820 et 1830, aux lettres à la fiancée.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre reçue le 9 février 1822 (commencée d’écrire le 5 février)

« Tu exposes des préjugés bien sévères en condamnant la peinture même comme talent d’agrément. Mais puisque tu trouves cela nuisible je te crois. Comment se fait-il que tu me trouves un refroidissement pour toi, et tu juges cela dans une parole ? Comment peux-tu penser que je t’aime moins quand je te prouve constamment qu’il est impossible d’aimer davantae (,) moi qui ne vis que pour toi, qui pense continuellement à toi et à qui en parlais-je ? Tu le sens bien toutes mes actions sont dans ton intention ; je ne goûte aucun plaisir si je ne le partage avec toi (,) tu savais tout cela et encore tu m’accuses. Ne me fais plus de semblables reproches parce qu’ils me font de la peine. Quand donc auras-tu confiance en moi ? Quand ne douteras-tu plus du bonheur que j’ai à te voir ? Moi qui suis ton amie et sans aucun contredit ta meilleure tu doutes toujours de ton Adèle. Réponds-moi que cela ne t’arrivera plus(,) qui croiras-tu si tu ne me crois pas ? Mais je ne veux plus t’en parler, je suis sûre que tu dis (pour : dois ?) avoir tort car tu es juste (,) j’ai pourtant grande confiance pour tout ce que tu dis car je t’aime tant que je ne trouve pas d’égal. Après de semblables aveux combien tu dois m’aimer pour ne pas me mépriser. Tu me dis dans ta dernière lettre qu’une femme doit oublier qu’elle est femme avec son mari. Dis-tu ce que tu penses ? Victor je crois bien qu’il y a dans tout cela plus de générosité que de véracité (,) j’ai bien du chagrin. Adieu (…)

La manière dont tu me parles d’une soirée que j’ai passée si innocemment est tout à fait extraordinaire.

Il est dur pour moi de te répéter tes propres paroles quand tu me dis que tu crois que je n’y ai fait aucun mal. Cette expression est rude. (…) Je suis allée à une fête de famille chez une bonne dame qu’il est inutile de te nommer parce que tu ne la connais pas. J’ai dansé jusqu’à 2 heures du matin dans la réunion la plus simple et la plus convenable. (…) J’ai eu tort sans doute de ne pas te l’avoir dit de suite, mais au moins cela aura servi à me faire voir combien peu tu as d’estime pour moi. (…) Sans doute ma conduite envers toi t’a-t-elle donné lieu de me croire ce que je ne suis pas. (…)

Dis-moi un peu, Victor, est-ce permis avant d’être mariés à l’église d’embrasser son mari ? cela me tourmente beaucoup, je t’assure. Mais Dieu me pardonnera, car il sait de quelle manière je te caresse. Cher ami, je t’aime tant que c’est mon excuse. (…)

Encore un conseil à ton Adèle. Si maman, comme c’est à peu près certain, nous donne un petit frère, dois-je l’engager à le nourrir ? Je vais te dire pourquoi je te fais cette question, c’est que maman n’étant pas d’âge à pouvoir se charger d’un petit être toute seule, je me trouverais engagée à rester chez nous encore au moins deux ans. Si tu crois que je doive rester chez nous ce temps-là, alors je conseillerai à maman de garder ce petit innocent , mais alors il faut songer que ce sera là un engagement. Je te demande ton avis là-dessus comme en tout, tu es mon arbitre. Dis-moi franchement ce que tu penses. Nous avons tous été nourris chez nous et je voudrais qu’il en fût de même pour ce petit individu ; mais en tout je ferai ce que tu voudras. Cela dépend beaucoup de moi, je désire que tu me dises ta volonté. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822