Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 8 juin 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Victor est consolé de son désespoir de l’avant-veille – le refus de sa fiancée de venir seule chez lui -, par la lettre tendre et aimante envoyée par Adèle. On apprend d’un aveu qu’il fait à la fiancée que sa mère lui a appris à ne pas extérioriser ses sentiments : il pleure rarement. Comme le fait justement remarquer Jean Massin, l’éditeur des œuvres complètes de Hugo au Club Français du livre, cette éducation a influé sur les textes de Hugo qui est « un des génies les plus pudiques et les moins spontanément effusifs ». Dans Les Contemplations, par exemple, recueil-tombeau de sa fille morte, l’émotion n’est jamais larmoyante et le prénom de la disparue n’est jamais prononcé.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par Pierre-François Lamiraud.

Lettre intégrale de Victor à Adèle du samedi [8 juin]

« Ne te plains pas, mon Adèle, de la soirée d’avant-hier. Quoique je sente alors plus vivement que jamais les chagrins qui me viennent de toi, ce sont toujours de bienheureux moments pour ton Victor que ceux qu’il passe près de moi. Juges-en par l’empire absolu que la moindre de tes paroles exerce sur ton mari. Oh ! console-moi toujours ainsi, bien-aimée Adèle, des larmes que tu me feras verser. Je ne donnerais pas maintenant pour le bonheur des anges la douleur à la vérité bien amère que tu m’as causée, puisqu’elle m’a valu une lettre si douce et des consolations si tendres. Chère amie, oui, cette douleur a été bien vive. Les larmes me font bien mal. Ceux qui pleurent aisément sont soulagés quand ils pleurent. Moi, je n’ai pas ce bonheur. Celles de mes larmes qui peuvent sortir sont celles qui me soulagent ; mais presque toutes me restent sur le cœur et m’étouffent. Une mère qui a prévu le cas où l’on est seul dans la vie, m’a accoutumé dès l’enfance à tout dévorer et à tout garder pour moi.

Pourtant, Adèle, il m’est bien doux de m’épancher en toi. Endurées pour toi, les fatigues et les souffrances ne me sont rien ; mais si je te vois quelquefois les deviner et les plaindre, alors, mon Adèle adorée, elles me sont chères et précieuses. Hélas ! n’as-tu pas pleuré aussi, toi, avant-hier ? Qu’est-ce donc que mes larmes ? O mon amie, combien les tiennes m’ont encore fait plus de mal ! Elles sont retombées douloureusement sur mon cœur, comme des remords. Pardonne-moi, va, je me hais bien. Adèle, que notre, que mon bonheur, serait grand si ce que disait aujourd’hui ta mère se réalisait ! Quel bonheur ! Ayons une confiance mutuelle en nous-mêmes et dans l’avenir. Adèle, n’est-il pas vrai que je serai bien heureux ? Comment ma femme peut-elle maintenant craindre de revenir dans ma tour ? Adèle, il faut que tu redoutes un bien grand danger pour me priver, moi, ton Victor, du plus grand bonheur dont il puisse jouir à présent. Consulte avant tout ton intérêt. Mon Adèle adorée, je ne t’adresserai plus une prière d’égoïste, mais j’aurai un bien vif chagrin. Adieu, je vais te voir dans quelques minutes, mais il m’est bien triste de penser que je ne serai pas près de ma femme dans le voyage à Gentilly. Hélas ! Mon Adèle bien-aimée, adieu ! Je veux que tu me dises que tu m’embrasses, je le veux, c’est-à-dire que je t’en prie. Adieu donc, embrasse ton mari, ton Victor. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822