Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 13 mars 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 20 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

« JE TE SUIVRAIS PARTOUT »

La jeune Adèle, souvent méprisée bien injustement par les commentateurs et critiques se montre pourtant déterminée et audacieuse dans cette lettre du 13 mars : elle est prête à quitter père et mère pour suivre Victor. Ce n’est pas anodin et cette promesse qu’elle fait à son amoureux dénote une grande force de caractère et même un brin de folie ou d’inconscience : on ne plaisante pas avec l’honneur des jeunes filles au XIXe siècle et elle risque, si elle se fait enlever par son bien-aimé, l’opprobre et la marginalisation. L’auteur d’Hernani se souviendra de cet élan fougueux et passionné. Doña Sol a bien les mêmes réponses qu’Adèle quand celui qu’elle aime lui dit que sa vie est rude, faite d’errances et de danger et qu’il vaudrait mieux pour elle épouser le vieux Don Ruy Gomez. Aux descriptions terrifiantes qu’il lui fait de son existence, la jeune aristocrate espagnole affirme à plusieurs reprises : « Je vous suivrai » puis ajoute « Allez où vous voudrez, j’irai. Restez, partez, / Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je l’ignore. / J’ai besoin de vous voir et de vous voir encore ».

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre (dans son intégralité) reçue le mercredi 13 mars 1822

« Tu as sans doute cru, mon ami, que je parlais sans réflexion, lorsque je te disais que je te suivrais partout. Mais c’est la résolution la plus méditée et la plus réfléchie. Et crois-tu qu’après avoir été ton amie dans une situation heureuse, je t’abandonnerais lorsque tu aurais besoin, plus que dans toute autre occasion, d’être soutenu ? Et, lorsque tu me dis que c’est peu généreux à toi de m’enlever à ma patrie, à mes parents, crois-tu donc encore qu’il serait plus généreux à toi de m’abandonner et de me laisser seule, puisque toi n’y étant pas, je suis aussi isolée que si j’étais dans un désert ? Je ne demande qu’à pouvoir te consoler, remonter ton courage quand il s’affaiblira, enfin partager ton sort, quel qu’il soit. Je n’ai d’autre bonheur que toi et comment veux-tu me laisser ainsi ? Mais, cher ami, que ce ne soit qu’aux dernières extrêmités que nous nous trouvions forcés de quitter ce que j’ai, après toi, de plus cher au monde. Des parents si bons, si généreux pour moi, demandaient une autre fille ; car, mon ami, est-il rien de meilleur qu’eux ? Et quand je pense qu’il est possible que je laisse de semblables parents dans la douleur, je voudrais qu’ils n’eussent jamais rien fait pour moi. Mais je pense aussi qu’ils auront des sujets de consolation, qu’ils ont d’autres enfants, et que toi, mon ami, tu es seul au monde. Non, jamais je ne te quitterai ! Comment, je pourrais te rendre moins malheureux et je ne le ferais pas !

Victor, tu n’aurais pas ainsi abandonner ta mère, et moi qui suis fille, moi qui ai été et suis encore chérie d’une si tendre mère, je me propose de la laisser ! Mais, dans cette circonstance, si je ne faisais pas ce que tu n’aurais pas fait, je mourrais.

Ainsi, cher ami, ne vois pas dans cette action, que tu dis généreuse, que de l’égoïsme de ma part. J’ai peur de ne pouvoir supporter un pareil événement, et c’est pour moi que j’agis, c’est parce que l’inquiétude m’enverrait dans la tombe et que je ne veux pas y aller. Je suivrai en tout ton destin. Après cela, c’est à toi à ménager la bonté de mes parents, à tâcher de ne me les faire jamais quitter. Mais ne crois pas pouvoir me laisser sans me retrouver folle ou morte. Tout espoir n’est par perdu. Pourquoi avons-nous de semblables pressentiments ? Qu’y a-t-il de plus inquiétant maintenant qu’il y a quinze jours ? Ton père peut faire quelques difficultés, au premier moment, c’est même naturel ; il t’élèvera de grands empêchements, on doit s’y attendre. Tu feras ton possible, et si, après n’avoir rien à nous reprocher, il persiste à vouloir nous séparer, c’est alors qu’il aura mal calculé, car je suis ta femme ; et Dieu, qui lit dans mon âme, sait quelles sont mes intentions, et me pardonnera une action qui a un but si légitime, et, sûrement, ce grand Dieu n’a pas fait deux êtres qui ne peuvent vivre l’un sans l’autre pour les séparer. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822