Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 19 ans.
Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.
Vidéo avec un extrait de cette lettre.
Tu me dis toujours que je t’aime moins que tu ne m’aimes, et, cependant, je me trouve heureuse de remplir tes moindres désirs. Tu t’étonnes que l’on trouve ridicule que tu sois à côté de moi ; mais réfléchis, cher ami, et tu verras quelle est la position de mes parents. Je vais remonter à une époque un peu éloignée. Tu te rappelles qu’il y a cinq mois, mes parents étaient décidés à ne pas te laisser venir chez nous, Ils avaient, pour cela, de bonnes raisons en disant que notre mariage était si vague qu’il était peu sage de te faire voir chez nous pour un prétendu de leur fille ; comme j’attachais mon bonheur à ce que tu vinsses, je sollicitai mes parents, leur disant qu’il ne fallait pas te regarder comme un homme ordinaire, que tu n’étais pas semblable aux autres. A force de demander, j’obtins la seule chose qui pouvait me toucher.
Je te parle de tout cela pour t’expliquer ce qui a, je crois refroidi maman à mon égard, et même un peu papa. Mes parents, voyant notre union incertaine, et ne voulant pas revenir sur une chose qu’ils ont accordée, s’en prennent un peu à moi ; ils sont trop bons et trop généreux pour m’en parler ; mais quelques paroles m’ont prouvé qu’ils ont quelque chose à me reprocher.
Je vois aussi, mon Victor, lorsque je ne m’étourdis pas, quel peu de probabilité nous avons à penser que notre mariage soit possible. Tu comprends la position de mes parents, ils ne voient rien de fixe, et se repentent (tout ceci n’est que conjectures) d’avoir fait ma volonté. Pour moi, cher ami, tu connais ma façon de penser ; rien ne pourra me détacher de toi, aucun obstacle, aucune volonté, rien au monde ; je te suivrai partout. Espérons, cependant, que tu ne te trouveras pas dans ce cas-là et que je pourrai accorder mon amour et mon devoir. Dis un peu à ta femme quel est ton espoir ; dis-lui si tu n’espères rien ; sois franc avec elle comme elle l’est avec toi. Je ne suis pas une enfant, j’ai du courage ; ainsi parle-moi de tes affaires sans ménagement, comme à ta meilleure amie. Je n’entends rien aux affaires ; je ne puis te donner aucun conseil, mais je saurai ce qui est.
Je te demande sur tout cela, une longue réponse. Je t’ai parlé de ces choses qui m’ont beaucoup coûté, parce qu’il faut sortir de ma sphère et te dire combien tu m’affliges lorsque tu me dis que je ne t’aime pas autant que tu m’aimes. Quand une jeune fille dit à un jeune homme qu’elle l’aime ; quand elle lui dit qu’elle le suivra partout ; quand elle lui dit qu’elle n’est pas une seconde sans penser à lui ; quand, enfin, elle manque à ses parents, à son devoir, par cette même raison, si elle n’aime pas ce jeune homme autant qu’une femme peut aimer, cette jeune fille est bien méprisable. Ainsi, cher Victor, lorsque tu me dis que je ne t’aime pas, c’est comme si tu me disais que tu me méprises. Oh ! si tu savais combien je t’aime, je ne crois pas que tu te mettrais en parallèle avec moi ; s’il fallait donner ma vie, tout ce que j’ai de plus précieux, pour toi, et que cela te fît seulement plaisir, je ne balancerais pas un moment, ayant la conviction que tu ne me demanderais pas quelque chose qui me déshonorerait à tes propres yeux.
Voici une longue lettre, mon ami, réponds-moi très long, car les moments qui sont employés à lire tes lettres sont autant de moments de félicité.
Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822