Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.
Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.
« CET IMMENSE BESOIN DE TOI QUI ME DEVORE »
Victor et Adèle aspirent de plus en plus ardemment à l’union dans le mariage et commencent à trouver le temps long. Les parents d’Adèle aussi. Ils se demandent si le « fiancé » dépense vraiment toute l’énergie nécessaire pour être financièrement capable de fonder une famille. Adèle presse Victor de demander à Léopold Hugo son consentement au mariage. Il a écrit à son père le 7 mars et attend avec inquiétude une réponse. Il souffre de voir très peu son Adèle. Ce 11 mars, Il lui envoie une lettre tourmentée et pleine de contradictions : il envisage de fuir et de commencer une autre vie – loin d’elle, donc – mais il lui dit à quel point il a soif de la voir ! Veut-il tester, comme il le fait souvent, la force de l’amour de la « fiancée » ? Il recevra une réponse de Léopold le 13 : « … avant de songer au mariage, il faut que tu aies un état ou une place et je ne considère pas comme telle la carrière littéraire ; quelle que soit la manière brillante dont on y débute. Quand donc tu auras l’un ou l’autre, tu me verras seconder tes vœux auxquels je ne suis point contraire ». Cette réponse semble un peu apaiser le fiancé impétueux : son père ne voit pas d’inconvénient à ce qu’il épouse la demoiselle Foucher s’il assume financièrement les besoins du couple. Adèle, qui ne connaît pas encore la réponse de son futur beau-père écrit à Victor une lettre digne des plus grandes amoureuses romantiques.
© Danièle Gasiglia-Laster
Vidéo avec un extrait de cette lettre. Une interprétation de Pierre-François Lamiraud.
« Lundi [11 mars].
Toutes mes idées sont confuses et en désordre dans ma tête ; la soirée d’hier, le dévouement, les paroles tendres de mon Adèle bien-aimée me jettent dans une douce et triste rêverie, dont je voudrais pouvoir fixer sur ce papier la vague émotion, afin de te montrer en quel état je suis loin de toi. Ton image ne m’apporterait que de la joie si avec les souvenirs de notre passé elle ne ramenait les pressentiments de notre avenir.
Je viens de prendre tes cheveux car le grand et fatal doute qui m’obsède depuis trois jours j’avais besoin d’une réalité qui vînt de toi. d’un gage palpable de cet amour angélique auquel tu m’as permis de croire. Seul un instant, j’ai couvert tes cheveux de baisers, il me semblait en les pressant sur mes lèvres que tu étais moins absente ; il me semblait que je ne sais quelle communication mystérieuse s’établissait peut-être au moyen de ces cheveux bien-aimés entre nos deux âmes séparées. Ne souris pas, Adèle, du délire où je m’égare. Hélas ! si peu d’heures dans ma vie se passent près de toi, chère amie, que je suis contraint souvent de chercher, soit en baisant tes cheveux, soit en relisant tes lettres, un moyen d’apaiser cet immense besoin de toi qui me dévore. C’est par ces moyens artificiels que je vivais pendant notre longue séparation, et puis l’espérance restait toujours devant mes yeux.
L’espérance !… dans huit jours, dans trois jours, qui sait s’il m’en restera quelque chose ? Pourquoi la destinée change-t-elle quand le cœur ne peut changer ? Enfin, quelque sort qui se présente, Adèle, je l’attends de pied ferme ; je me souviendrai que tu as daigné m’aimer, et que n’affronterais-je pas avec cette pensée ? On a d’ailleurs toujours une porte ouverte pour sortir du malheur, et du jour où la dernière espérance me sera enlevée, je fuirai par là. J’irai commencer une autre vie, qui, tout amère qu’elle soit, ne le sera pas certainement autant que celle-ci, sans toi. Adieu pour aujourd’hui. Oh ! que j’ai soif de te voir ! »
Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822