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Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 11 mars 1822

Victor Hugo, âgé de 20 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

« CET IMMENSE BESOIN DE TOI QUI ME DEVORE »

Victor et Adèle aspirent de plus en plus ardemment à l’union dans le mariage et commencent à trouver le temps long. Les parents d’Adèle aussi. Ils se demandent si le « fiancé » dépense vraiment toute l’énergie nécessaire pour être financièrement capable de fonder une famille. Adèle presse Victor de demander à Léopold Hugo son consentement au mariage. Il a écrit à son père le 7 mars et attend avec inquiétude une réponse. Il souffre de voir très peu son Adèle. Ce 11 mars, Il lui envoie une lettre tourmentée et pleine de contradictions : il envisage de fuir et de commencer une autre vie – loin d’elle, donc – mais il lui dit à quel point il a soif de la voir ! Veut-il tester, comme il le fait souvent, la force de l’amour de la « fiancée » ? Il recevra une réponse de Léopold le 13 : « … avant de songer au mariage, il faut que tu aies un état ou une place et je ne considère pas comme telle la carrière littéraire ; quelle que soit la manière brillante dont on y débute. Quand donc tu auras l’un ou l’autre, tu me verras seconder tes vœux auxquels je ne suis point contraire ». Cette réponse semble un peu apaiser le fiancé impétueux : son père ne voit pas d’inconvénient à ce qu’il épouse la demoiselle Foucher s’il assume financièrement les besoins du couple. Adèle, qui ne connaît pas encore la réponse de son futur beau-père écrit à Victor une lettre digne des plus grandes amoureuses romantiques.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre. Une interprétation de Pierre-François Lamiraud.

« Lundi [11 mars].

Toutes mes idées sont confuses et en désordre dans ma tête ; la soirée d’hier, le dévouement, les paroles tendres de mon Adèle bien-aimée me jettent dans une douce et triste rêverie, dont je voudrais pouvoir fixer sur ce papier la vague émotion, afin de te montrer en quel état je suis loin de toi. Ton image ne m’apporterait que de la joie si avec les souvenirs de notre passé elle ne ramenait les pressentiments de notre avenir.

Je viens de prendre tes cheveux car le grand et fatal doute qui m’obsède depuis trois jours j’avais besoin d’une réalité qui vînt de toi. d’un gage palpable de cet amour angélique auquel tu m’as permis de croire. Seul un instant, j’ai couvert tes cheveux de baisers, il me semblait en les pressant sur mes lèvres que tu étais moins absente ; il me semblait que je ne sais quelle communication mystérieuse s’établissait peut-être au moyen de ces cheveux bien-aimés entre nos deux âmes séparées. Ne souris pas, Adèle, du délire où je m’égare. Hélas ! si peu d’heures dans ma vie se passent près de toi, chère amie, que je suis contraint souvent de chercher, soit en baisant tes cheveux, soit en relisant tes lettres, un moyen d’apaiser cet immense besoin de toi qui me dévore. C’est par ces moyens artificiels que je vivais pendant notre longue séparation, et puis l’espérance restait toujours devant mes yeux.

L’espérance !… dans huit jours, dans trois jours, qui sait s’il m’en restera quelque chose ? Pourquoi la destinée change-t-elle quand le cœur ne peut changer ? Enfin, quelque sort qui se présente, Adèle, je l’attends de pied ferme ; je me souviendrai que tu as daigné m’aimer, et que n’affronterais-je pas avec cette pensée ? On a d’ailleurs toujours une porte ouverte pour sortir du malheur, et du jour où la dernière espérance me sera enlevée, je fuirai par là. J’irai commencer une autre vie, qui, tout amère qu’elle soit, ne le sera pas certainement autant que celle-ci, sans toi. Adieu pour aujourd’hui. Oh ! que j’ai soif de te voir ! »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 9 février 1822

Victor Hugo, âgé de 19 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

SOMBRE COMME DIDIER, JALOUX COMME HERNANI

   Adèle et Victor ne peuvent toujours pas se marier car Victor n’est pas encore en mesure, financièrement, d’entretenir une épouse. Ils continuent à s’écrire en secret. Le jeune Victor est fou d’amour, fou de jalousie et, à cette époque, plutôt rigide et puritain.  Son Adèle fréquente-t-elle la belle Julie Duvidal de Montferrier, artiste peintre ? Il le lui déconseille, considérant qu’une femme artiste se déconsidère : « Il suffit qu’une femme appartienne au public sous un rapport pour que le public croie qu’elle lui appartient sous tous ».  Adèle se demande si elle a le droit de l’embrasser, il répond par l’affirmative puisqu’ils sont destinés à devenir mari et femme. Mais les commères jasent, ce qui ennuie Adèle.  Victor a appris qu’elle avait dansé une partie de la nuit, au cours d’un bal. Il manifeste son mécontentement. Adèle se sent humiliée par ce manque de confiance. Que de tourments chez ces amoureux contrariés !  Il la voudrait toute à lui, ne se rend pas compte qu’elle est tiraillée entre des parents qui la surveillent, la morale étroite d’un XIXe siècle qui maintient filles et femmes dans un carcan, et son jeune amoureux exigeant et fébrile.

   La vie semble comme une ébauche de l’œuvre en devenir ou à venir.  Le jeune Victor Hugo avoue à Adèle qu’il a beaucoup mis d’elle dans Ethel, jeune héroïne du roman qu’il est en train d’écrire,  Han d’Islande , il est tourmenté comme le Didier de Marion de Lorme, cette pièce qu’il composera sept ans plus tard, jaloux comme le personnage qui donne son nom au drame conçu l’année suivante, Hernani. Les amoureux de la fiction emprunteront beaucoup, dans les années 1820 et 1830, aux lettres à la fiancée.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre. Une interprétation de Pierre-François Lamiraud.

« Samedi, 9h. du soir [9 février].

Que t’ai-je fait, mon Adèle, pour que tu me reparles encore de tes cruels doutes sur mon estime ? Certes, ces doutes ne seraient-ils pas bien mieux placés dans mon âme, quand je te vois me témoigner tant de défiance, et si peu de foi dans mes paroles ? Est-ce m’estimer que de paraître ne pas croire encore ce que je t’ai dit le plus souvent dans ma vie ? Est-ce m’estimer que de penser que mon amour puisse être fondé sur une autre base que l’admiration la plus vive et le respect le plus profond ? Chère amie, si j’ai pris du fond de l’âme la résolution de marcher noblement et sans fléchir dans cette vie où les prospérités ne s’achètent que trop souvent par des bassesses, sois-en convaincue, mon Adèle bien-aimée, c’est à ma passion enthousiaste pour toi que je le dois. Si je ne t’avais pas connue, toi le plus pur et le plus adorable de tous les êtres, qui sait ce que j’aurais été ? O Adèle, c’est ton image gravée dans mon cœur qui y a développé le germe du peu de vertus que je puis avoir. Dieu me garde d’enlever à ma vénérable mère ce que je lui dois ; mais il est incontestable que si j’ai eu la force de pratiquer dans toute leur vigueur les principes sévères dont elle  m’a nourri, c’est parce que j’aimais une angélique jeune fille dont je voulais ne pas être trop indigne.

Que les observations naturelles qui t’ont affligée hier ne m’attirent donc pas de ta part ce reproche insupportable de ne pas t’estimer. Moi, ne pas t’estimer ! il me semble que je rêve quand je relis cette partie de ta lettre, si douce et si tendre d’ailleurs ! J’ai été étonné hier croyant d’abord que tu ne partageais pas ma répugnance pour l’inconvenance que je t’avais signalée, j’ai été, je l’avoue, bien étonné et bien affligé ; mais quand tu m’as fait reconnaître en t’expliquant que c’était un malentendu, mon cœur a été soulagé et je n’ai plus eu d’autre peine que le regret de t’en avoir tant causé. Maintenant tes parents ont sans doute senti d’eux-mêmes l’inconvenance qui m’avait tant blessé ; ainsi j’ai un chagrin de moins. J’ai voulu t’écrire tout cela ce soir, parce que ton reproche me pesait sur le cœur. Dieu ! pourquoi les expressions me manquent-elles ? tu verrais, ange, quel temple l’amour le plus ardent t’a élevé dans l’âme de ton Victor. A présent ne m’accuse pas de folie. Songe que le sentiment que tu inspires doit être aussi au-dessus des passions ordinaires, que tu es toi-même supérieure aux créatures vulgaires.

Adieu, mon Adèle adorée, tu dors sans doute en ce moment. Quand donc n’en serai-je plus réduit à des conjectures ? Quand donc pourrai-je me dispenser de te demander des nouvelles de ta nuit ?

A demain. Mille caresses et mille baisers pour te punir de me reprocher mon défaut d’estime.

Ton respectueux et fidèle mari,

VICTOR. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 9 février 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 19 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

SOMBRE COMME DIDIER, JALOUX COMME HERNANI

   Adèle et Victor ne peuvent toujours pas se marier car Victor n’est pas encore en mesure, financièrement, d’entretenir une épouse. Ils continuent à s’écrire en secret. Le jeune Victor est fou d’amour, fou de jalousie et, à cette époque, plutôt rigide et puritain.  Son Adèle fréquente-t-elle la belle Julie Duvidal de Montferrier, artiste peintre ? Il le lui déconseille, considérant qu’une femme artiste se déconsidère : « Il suffit qu’une femme appartienne au public sous un rapport pour que le public croie qu’elle lui appartient sous tous ».  Adèle se demande si elle a le droit de l’embrasser, il répond par l’affirmative puisqu’ils sont destinés à devenir mari et femme. Mais les commères jasent, ce qui ennuie Adèle.  Victor a appris qu’elle avait dansé une partie de la nuit, au cours d’un bal. Il manifeste son mécontentement. Adèle se sent humiliée par ce manque de confiance. Que de tourments chez ces amoureux contrariés !  Il la voudrait toute à lui, ne se rend pas compte qu’elle est tiraillée entre des parents qui la surveillent, la morale étroite d’un XIXe siècle qui maintient filles et femmes dans un carcan, et son jeune amoureux exigeant et fébrile.

   La vie semble comme une ébauche de l’œuvre en devenir ou à venir.  Le jeune Victor Hugo avoue à Adèle qu’il a beaucoup mis d’elle dans Ethel, jeune héroïne du roman qu’il est en train d’écrire,  Han d’Islande , il est tourmenté comme le Didier de Marion de Lorme, cette pièce qu’il composera sept ans plus tard, jaloux comme le personnage qui donne son nom au drame conçu l’année suivante, Hernani. Les amoureux de la fiction emprunteront beaucoup, dans les années 1820 et 1830, aux lettres à la fiancée.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre interprétée par une membre de la Société des Amis de Victor Hugo.

Lettre reçue le 9 février 1822 (commencée d’écrire le 5 février)

« Tu exposes des préjugés bien sévères en condamnant la peinture même comme talent d’agrément. Mais puisque tu trouves cela nuisible je te crois. Comment se fait-il que tu me trouves un refroidissement pour toi, et tu juges cela dans une parole ? Comment peux-tu penser que je t’aime moins quand je te prouve constamment qu’il est impossible d’aimer davantae (,) moi qui ne vis que pour toi, qui pense continuellement à toi et à qui en parlais-je ? Tu le sens bien toutes mes actions sont dans ton intention ; je ne goûte aucun plaisir si je ne le partage avec toi (,) tu savais tout cela et encore tu m’accuses. Ne me fais plus de semblables reproches parce qu’ils me font de la peine. Quand donc auras-tu confiance en moi ? Quand ne douteras-tu plus du bonheur que j’ai à te voir ? Moi qui suis ton amie et sans aucun contredit ta meilleure tu doutes toujours de ton Adèle. Réponds-moi que cela ne t’arrivera plus(,) qui croiras-tu si tu ne me crois pas ? Mais je ne veux plus t’en parler, je suis sûre que tu dis (pour : dois ?) avoir tort car tu es juste (,) j’ai pourtant grande confiance pour tout ce que tu dis car je t’aime tant que je ne trouve pas d’égal. Après de semblables aveux combien tu dois m’aimer pour ne pas me mépriser. Tu me dis dans ta dernière lettre qu’une femme doit oublier qu’elle est femme avec son mari. Dis-tu ce que tu penses ? Victor je crois bien qu’il y a dans tout cela plus de générosité que de véracité (,) j’ai bien du chagrin. Adieu (…)

La manière dont tu me parles d’une soirée que j’ai passée si innocemment est tout à fait extraordinaire.

Il est dur pour moi de te répéter tes propres paroles quand tu me dis que tu crois que je n’y ai fait aucun mal. Cette expression est rude. (…) Je suis allée à une fête de famille chez une bonne dame qu’il est inutile de te nommer parce que tu ne la connais pas. J’ai dansé jusqu’à 2 heures du matin dans la réunion la plus simple et la plus convenable. (…) J’ai eu tort sans doute de ne pas te l’avoir dit de suite, mais au moins cela aura servi à me faire voir combien peu tu as d’estime pour moi. (…) Sans doute ma conduite envers toi t’a-t-elle donné lieu de me croire ce que je ne suis pas. (…)

Dis-moi un peu, Victor, est-ce permis avant d’être mariés à l’église d’embrasser son mari ? cela me tourmente beaucoup, je t’assure. Mais Dieu me pardonnera, car il sait de quelle manière je te caresse. Cher ami, je t’aime tant que c’est mon excuse. (…)

Encore un conseil à ton Adèle. Si maman, comme c’est à peu près certain, nous donne un petit frère, dois-je l’engager à le nourrir ? Je vais te dire pourquoi je te fais cette question, c’est que maman n’étant pas d’âge à pouvoir se charger d’un petit être toute seule, je me trouverais engagée à rester chez nous encore au moins deux ans. Si tu crois que je doive rester chez nous ce temps-là, alors je conseillerai à maman de garder ce petit innocent , mais alors il faut songer que ce sera là un engagement. Je te demande ton avis là-dessus comme en tout, tu es mon arbitre. Dis-moi franchement ce que tu penses. Nous avons tous été nourris chez nous et je voudrais qu’il en fût de même pour ce petit individu ; mais en tout je ferai ce que tu voudras. Cela dépend beaucoup de moi, je désire que tu me dises ta volonté. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 24 janvier 1822

Victor Hugo, âgé de 19 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Le jeune Victor aura bientôt 20 ans. Il est amoureux de son ancienne compagne de jeu, Adèle Foucher qui, elle, a 19 ans. Il a décidé de rester vierge jusqu’à son mariage, trouvant normal qu’on demande à un jeune homme ce qu’on exige d’une jeune fille. Adèle étant tombée malade pendant un bal, il a eu l’autorisation de la regarder se reposer dans son lit le 17 janvier. Mais Léopold, son père, ne lui a pas encore donné son consentement au mariage avec Adèle. Victor souffre. Il la voudrait toute à lui, il la respecte, mais il la désire violemment. Cette « fièvre », lui servira très probablement à décrire les tourments éprouvés par Claude Frollo, l’archidiacre de Notre-Dame, dans « Notre-Dame de Paris », fou de désir pour la jeune Esmeralda dont le nom comporte toutes les lettres du prénom d’Adèle.

© Danièle Gasiglia-Laster

Vidéo avec un extrait de cette lettre.

« Jeudi 24 [janvier].

Ton Victor ne s’occupera ce soir que de toi. Chère amie, il y a juste une semaine à cette heure que nous allions chacun de notre côté à ce bal où ton mari devait tant souffrir de ne pas porter ce titre aux yeux de tous. Si tu avais été à moi, Adèle, je t’aurais emportée dans mes bras loin de tous ces importuns, j’aurais veillé pendant que tu aurais dormi sur ma poitrine, cette triste nuit aurait été moins douloureuse pour toi, mes soins et mes caresses auraient calmé tes douleurs. Le lendemain tu te serais éveillée à mes côtés, tout le jour tu m’aurais vu à tes pieds, prêt à prévenir tes moindres désirs, et à chaque nouvelle souffrance j’aurais opposé un nouveau soin. Au lieu de tout ce bonheur, ma bien-aimée Adèle, que de gênes ! que de contraintes !

Cependant cette torture n’a pas été sans quelque enchantement. Lorsque après avoir longtemps épié un moment de solitude et de liberté, je pouvais entrer sur la pointe du pied dans ta chambre et m’approcher de ce lit où tu reposais si jolie et si touchante, va, j’étais bien récompensé de l’ennui du bal et de l’insipidité de tout ce monde d’étourdis et de folles. Il ne m’eût été permis que de baiser tes pieds que c’eût été pour moi un bien grand bonheur. Et si, après m’avoir longtemps repoussé, tu m’adressais enfin une parole douce et émue, si je pouvais lire dans ton regard charmant et demi-voilé un peu d’amour pour moi au milieu de tant de souffrances, Adèle, alors je ne sais quel mélange de tristesse et de joie s’emparait tumultueusement de tout mon être, et je n’aurais pas donné cette sensation déchirante et délicieuse pour toute la félicité des anges.

L’idée que tu étais ma femme et que cependant c’était d’autres que moi qui avaient le droit de t’approcher, me désolait. Oh ! il faut que ces contraintes soient bientôt brisées, il faut que ma femme soit ma femme et que notre mariage devienne enfin notre union. On dit que la solitude rend fou, et quelle solitude pire que le célibat ? Tu ne saurais croire, chère amie, à quels inconcevables mouvements je suis livré ; la nuit, dans mes insomnies, j’embrasse mon lit avec des convulsions d’amour en pensant à toi ; dans mes rêves, je t’appelle, je te vois, je t’embrasse, je prononce ton nom, je voudrais me traîner dans la poussière de tes pieds, être une fois à toi, et mourir.

Adèle, mon amour pour toi est pur et virginal comme ton souffle, mais sa chasteté même le rend plus brûlant, il me dévore comme une flamme concentrée, mais c’est un feu sacré qui ne s’est allumé que pour toi et que toi seule as le droit de nourrir. Pour tout le reste de ton sexe je suis aveugle et insensible. J’ignore si telle femme est belle, si telle autre est spirituelle, je l’ignore comme la glace de cristal devant laquelle elles passent pour s’admirer. Je sais seulement qu’il y a parmi toutes les femmes une Adèle qui est le génie heureux de ma vie et dans laquelle je dois placer toutes mes vertus comme toutes mes jouissances. Chère amie !… Et notre bonheur dépend de si peu de chose !…

Ce que tu me dis dans ta dernière lettre sur la nuit du 17 m’a bien touché. Va, si mes soins peuvent te guérir, sois tranquille, bientôt j’aurai le droit de te les prodiguer, ou ma volonté et ma vie seront brisées comme un verre. Songe que ton Victor est un homme et que cet homme est ton mari.

Est-il vrai, mon Adèle, que, dans cette fatale nuit du 29 juin tu serais accourue dans mes bras si tu avais été libre ? Oh ! combien cette idée m’eût consolé dans ce moment de désespoir, et combien elle est douce pour moi aujourd’hui même que les premiers instants sont passés et que les témoignages de ta tendresse généreuse ont cicatrisé cette cruelle plaie ! Que ne peux-tu pas sur moi et que n’es-tu pas pour moi ! Peine et joie, pour moi tout vient de toi, tout descend de mon Adèle. Avec toi le malheur est doux, sans toi la prospérité est odieuse. Pour que je consente à marcher dans la vie, il faut que tu daignes être ma compagne. Oui, mon Adèle adorée, tu peux tout sur moi avec un sourire ou une larme.

J’ai une grande faculté dans l’âme, celle d’aimer, et tu la remplis tout entière ; car auprès de ce que j’éprouve pour toi, l’affection que je porte à mes amis, à mes parents, que je portais à mon admirable et malheureuse mère, cette affection n’est rien. Non que je les aime moins qu’on ne doit aimer des amis, des parents et une mère, mais c’est que je t’aime plus que femme au monde n’a jamais été aimée, et cela parce que jamais nulle ne l’a mérité comme toi.

Adieu pour ce soir. Je vais me coucher tranquille (car on m’a dit que tu te portes bien) à la même heure où je tremblais d’inquiétude et de pitié il y a huit jours. Adieu, mon Adèle bien-aimée, je t’embrasse. Je vais baiser tes cheveux adorés que tu m’as donnés et dont je ne t’ai pas remerciée, parce qu’il n’y a pas de paroles pour exprimer ma reconnaissance d’un don aussi précieux. A des gages d’amour aussi touchants, je ne puis répondre qu’en m’agenouillant devant toi et en te priant comme mon ange gardien pour cette vie et ma sœur pour l’éternité. Adieu ! adieu ! Mille et mille baisers. »

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre de Victor Hugo à Adèle Foucher du 8 janvier 1822

Victor Hugo, âgé de 19 ans, écrit à sa fiancée Adèle Foucher, âgée de 18 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Vidéo avec un extrait de cette lettre.

Adèle, tout ce que me dit ta lettre d’hier est parfaitement juste. Je te remercie, chère amie, de l’avoir écrite, tu as bien fait, et pourtant elle m’a réveillé comme d’un songe. C’est un de tes droits de me parler de mes affaires, car mes affaires sont les tiennes. C’est un devoir pour moi, je dis plus, c’est un de mes droits les plus chers que celui de te demander conseil sur tout ce qui me concerne, et ma confiance en toi, ma profonde estime pour ma femme me parlent là-dessus tout autrement que ta modestie. Il y a longtemps que je désirerais exercer ce droit, si je pouvais t’entretenir autrement que par écrit et si je n’avais craint de glacer ces lettres, ma seule joie, par des détails fastidieux pour toi et pour moi. Cette raison tombe pourtant d’elle-même du moment que ton désir répond au mien.

[…]

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 7 janvier 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 19 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Vidéo avec un extrait de cette lettre.

Tu me dis toujours que je t’aime moins que tu ne m’aimes, et, cependant, je me trouve heureuse de remplir tes moindres désirs. Tu t’étonnes que l’on trouve ridicule que tu sois à côté de moi ; mais réfléchis, cher ami, et tu verras quelle est la position de mes parents. Je vais remonter à une époque un peu éloignée. Tu te rappelles qu’il y a cinq mois, mes parents étaient décidés à ne pas te laisser venir chez nous, Ils avaient, pour cela, de bonnes raisons en disant que notre mariage était si vague qu’il était peu sage de te faire voir chez nous pour un prétendu de leur fille ; comme j’attachais mon bonheur à ce que tu vinsses, je sollicitai mes parents, leur disant qu’il ne fallait pas te regarder comme un homme ordinaire, que tu n’étais pas semblable aux autres. A force de demander, j’obtins la seule chose qui pouvait me toucher.

Je te parle de tout cela pour t’expliquer ce qui a, je crois refroidi maman à mon égard, et même un peu papa. Mes parents, voyant notre union incertaine, et ne voulant pas revenir sur une chose qu’ils ont accordée, s’en prennent un peu à moi ; ils sont trop bons et trop généreux pour m’en parler ; mais quelques paroles m’ont prouvé qu’ils ont quelque chose à me reprocher.

Je vois aussi, mon Victor, lorsque je ne m’étourdis pas, quel peu de probabilité nous avons à penser que notre mariage soit possible. Tu comprends la position de mes parents, ils ne voient rien de fixe, et se repentent (tout ceci n’est que conjectures) d’avoir fait ma volonté. Pour moi, cher ami, tu connais ma façon de penser ; rien ne pourra me détacher de toi, aucun obstacle, aucune volonté, rien au monde ; je te suivrai partout. Espérons, cependant, que tu ne te trouveras pas dans ce cas-là et que je pourrai accorder mon amour et mon devoir. Dis un peu à ta femme quel est ton espoir ; dis-lui si tu n’espères rien ; sois franc avec elle comme elle l’est avec toi. Je ne suis pas une enfant, j’ai du courage ; ainsi parle-moi de tes affaires sans ménagement, comme à ta meilleure amie. Je n’entends rien aux affaires ; je ne puis te donner aucun conseil, mais je saurai ce qui est.

Je te demande sur tout cela, une longue réponse. Je t’ai parlé de ces choses qui m’ont beaucoup coûté, parce qu’il faut sortir de ma sphère et te dire combien tu m’affliges lorsque tu me dis que je ne t’aime pas autant que tu m’aimes. Quand une jeune fille dit à un jeune homme qu’elle l’aime ; quand elle lui dit qu’elle le suivra partout ; quand elle lui dit qu’elle n’est pas une seconde sans penser à lui ; quand, enfin, elle manque à ses parents, à son devoir, par cette même raison, si elle n’aime pas ce jeune homme autant qu’une femme peut aimer, cette jeune fille est bien méprisable. Ainsi, cher Victor, lorsque tu me dis que je ne t’aime pas, c’est comme si tu me disais que tu me méprises. Oh ! si tu savais combien je t’aime, je ne crois pas que tu te mettrais en parallèle avec moi ; s’il fallait donner ma vie, tout ce que j’ai de plus précieux, pour toi, et que cela te fît seulement plaisir, je ne balancerais pas un moment, ayant la conviction que tu ne me demanderais pas quelque chose qui me déshonorerait à tes propres yeux.

Voici une longue lettre, mon ami, réponds-moi très long, car les moments qui sont employés à lire tes lettres sont autant de moments de félicité.

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822

Lettre d’Adèle Foucher à Victor Hugo du 5 janvier 1822

Adèle Foucher, âgée de 18 ans, écrit à son fiancé Victor Hugo, âgé de 19 ans.

Leur mariage sera célébré le 12 octobre 1822 à Paris, dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice.

Vidéo avec un extrait de cette lettre.

Nous avons mal commencé l’année, cher ami ; tu m’en as voulu et, certes, je n’étais pas coupable ; je suis si malheureuse quand tu es fâché contre moi ! Sois persuadé que si, quelquefois, je fais quelque chose qui te déplaît, c’est que je ne puis faire autrement.

Tu me demandes si, te rencontrant et donnant le bras à une femme, cela me donnerait de la jalousie ? Le premier moment serait pénible ; mais la réflexion viendrait, et je penserais que tu ne peux me tromper, mais que tu peux avoir de l’estime pour toute autre femme, que tu peux rendre justice à son mérite, à ses agréments, mais que tu n’aimeras jamais assez ton Adèle.

J’aurais plus de raisons d’être jalouse que toi, car, si un homme m’offre le bras ainsi qu’à maman, puis-je refuser quand maman me dit de l’accepter, quand je ne puis, sans être insolente, le repousser ? Je suis assez contrariée de l’idée que je pourrais te le donner et changer un grand ennui en un grand bonheur. Au lieu que toi, mon ami, tu es libre d’offrir ou de ne pas offrir ton bras à quelqu’un (je parle en général), et alors j’aurais beaucoup plus de raisons que toi de me plaindre. Tu dois t’apercevoir, cher ami, combien je passe sur les bienséances pour toi, combien je me fais remarquer, combien même je me fais gronder ; tout cela m’est indifférent et le bonheur d’être près de toi me compense bien au delà.

Je vois avec peine que tu m’écris que tu me trouves charmante. Sûrement, je n’ambitionne que ton suffrage ; mais, Victor, je suis la femme le plus ordinaire qui existe ; je dis ce que je pense, tu t’en apercevras un jour, et alors tu m’aimeras moins et cela fera mon malheur. Je te le dis, je ne suis rien qu’une femme qui t’aime, rien autre chose.

J’ai dans ce moment, mon ami, du chagrin. Je m’aperçois que maman m’aime beaucoup moins qu’autrefois ; elle est bonne, parce qu’elle ne peut être autrement, mais elle est froide et interprète mal toutes me paroles. Elle me gronde vraiment beaucoup. Ai-je mérité mon sort ? Je le crois, car elle aurait pu prétendre à toute ma tendresse et je vis pour toi. J’aime maman ; mais la tendresse que j’ai pour toi est tellement au-dessus ! Et, d’ailleurs, l’amour filial et l’amour qu’on a pour son mari sont deux choses différentes, ou plutôt, deux choses dont l’une n’est rien et l’autre tout. Ne crois pas, mon ami, que maman ne soit rien pour moi. Je donnerais tout pour elle ; je la respecte, je lui dois tout, et , cependant, ingrate que je suis, je la quitterais pour aller avec toi. De grâce, ne méprise pas une femme qui aime mieux un homme, avant d’être mariée, que sa mère.

Je n’ai pas oublié de te remercier de tes vers, ils sont charmants. Je ne m’y connais pas, mais il m’ont fait pleurer. Ne me dis pas plus en vers qu’en prose que je puisse jamais t’oublier, te délaisser. Serais-tu en prison, dans un cachot, dans tous les endroits les plus horribles, que je te suivrais partout. Tous les obstacles ne seraient rien pour moi, et ton Adèle s’attacherait à toi quand bien même tu t’y opposerais. Et que crois-tu que soit la vie ? Elle n’est quelque chose qu’autant qu’on la parcourt avec quelqu’un qui sait vous la faire aimer, vous y faire attacher quelque prix, et, pour moi, un tombeau où je serais avec toi serait le ciel pour moi.

Sélection de lettres entre Victor Hugo et Adèle Foucher en 1822